Situation des Finances des Départements : les sénateurs débattent avec le Ministre - Départements de France - AF

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Le mardi 5 mars 2024, le Sénat a organisé un débat sur les finances des Départements. Les groupes politiques de la Haute Assemblée ont présenté leur point de vue, dans le cadre d’un débat interactif avec le Gouvernement, représenté par Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics Plusieurs sénateurs, anciens Présidents de Départements ont pris la parole.

  • Arnaud Bazin (LR-Val d’Oise, ancien Président du Département). Introduction

Les Départements ne peuvent plus maîtriser leurs recettes, pas plus que leurs dépenses, décidées par le Gouvernement, comme la hausse de 10 % du RSA, combinée à la baisse de 40 % de la DGF sous François Hollande.

Ils sont totalement dépendants des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). La quasi-totalité des Départements est déjà au taux plafond : ils ne peuvent faire autrement. Réduits à constater des baisses de recettes, ils se voient imposer leurs dépenses, entre revalorisations salariales et dépenses sociales : aide sociale à l’enfance (ASE) saturée du fait de l’incapacité de l’État à maîtriser les flux migratoires ; RSA, dont la charge augmentera de 2 milliards d’euros avec la fin de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) ; solidarité à la source, qui pourrait coûter 3,5 milliards de plus, vu le taux de non-recours. Je n’oublie pas l’inflation et la non-indexation de la DGF, alors que la remontée des taux d’intérêt a entraîné une baisse des DMTO de 23 % pour les départements, et jusqu’à 30 % pour certains, dans un contexte de crise du logement inédite, alors que l’empilement de normes renchérit la construction et raréfie le foncier.

Il faut faire les comptes : baisse de 51,3 % de l’épargne nette des Départements, et de 26,7 % de trésorerie brute, contre respectivement une hausse de 16,9 % et une baisse de 2,7 % pour les communes. Tout cumulé, par rapport à 2021, il manquera 7,5 milliards d’euros aux Départements, qui se montrent pourtant solidaires – mais la péréquation ne suffit plus.

Face à cet effet ciseau, l’investissement et l’aide aux communes sont la variable d’ajustement. Routes, fibre optique, collèges : les Départements ne se limitent pourtant pas au social !

Quelle hypothèse de recette de DMTO retenez-vous pour 2024 ? Quelle sera l’évolution des allocations, alors que les dépenses sociales représentent plus de 60 % des dépenses de fonctionnement des Départements ? Le fonds de sauvegarde – 106 malheureux millions d’euros pour quatorze Départements – est-il à la hauteur ?

La ficelle est grosse. Après avoir fini d’asphyxier les départements, le Gouvernement en profitera-t-il recentraliser ?

Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics – Le contexte pour les finances publiques et les Départements est particulier. Ceux-ci font en effet face à une inflexion de leur situation financière, singulière par rapport aux autres collectivités. D’abord, les dépenses de fonctionnement augmentent – 7,2 % pour celles liées au personnel. La revalorisation du point d’indice, les salaires médico-sociaux et la hausse des dépenses d’énergie y contribuent.

Les recettes, elles, diminuent, avec une baisse de 20 % pour les DMTO. Mais cette correction suit une dynamique exceptionnelle : doublement entre 2012 et 2022, augmentation de 40 % depuis 2017. Au total, les recettes réelles de fonctionnement baissent, c’est une spécificité de l’échelon départemental. Mais la situation est hétérogène.

Je m’engage à poursuivre le dialogue avec Départements de France et M.Sauvadet. Des rendez-vous sont fixés : mars, mai, automne. Quinze Départements appellent une attention particulière. Je suis prêt à rencontrer les présidents de Département qui le sollicitent.

Je vous rassure, certains mécanismes amortiront cette inflexion. Les DMTO demeurent minoritaires dans les recettes, et sont supérieurs au niveau de 2019. La péréquation réduit l’écart de recette de 40 %.

S’y ajoutent la mise en réserve des sommes non distribuées, pour 250 millions d’euros en 2023, et le fonds de sauvegarde des Départements, qui concerne d’abord les collectivités touchées par la baisse des DMTO et la hausse des dépenses sociales – RSA, allocation personnalisée d’autonomie (APA), prestation de compensation du handicap (PCH). La loi de finances pour 2024 l’a porté de 53 à 106 millions d’euros. L’État contribue à parité avec les Départements. Cet effort bénéficie à quatorze d’entre eux : 9 millions pour la Gironde, 7 millions pour le Val-de-Marne.

Les Départements sont autorisés à mettre en réserve une fraction de DMTO. Au 31 janvier 2024, 35 d’entre eux ont ainsi mis de côté un total de 1 milliard d’euros. Je salue leur esprit de responsabilité.

Dans une conjoncture difficile et exogène, l’État est au rendez-vous. Il l’est aussi pour compenser des hausses de dépenses, notamment liées aux prix de l’énergie. Enfin, la loi de finances 2024 comprend des mesures ciblées, avec 150 millions d’euros supplémentaires pour le budget de la CNSA. De même, le soutien de l’État pour la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) atteint 100 millions d’euros en 2024.

J’en viens à la compensation des récentes réformes de la fiscalité locale : la TVA devient une composante essentielle du panier de ressources des Départements, à hauteur de 30 %, soit 22 milliards d’euros en 2023, en hausse de 7 %. La TVA est dynamique. De même, la taxe spéciale sur les conventions d’assurances (TSCA) a crû de 7 % en 2023, ce qui amortit la baisse des DMTO.

Surtout, la loi de finances pour 2020 introduit le versement de 250 millions d’euros de fraction de TVA à destination des Départements exposés à un reste à charge au titre des allocations de solidarité.

Enfin, même si l’État sera toujours aux côtés des Départements, les efforts doivent être partagés. Le premier allié des finances publiques, c’est la croissance. Or le contexte international, incertain, est marqué par les chocs géopolitiques. Comme nos partenaires, nous révisons nos prévisions de croissance et de recettes – d’où l’annulation de 10 milliards d’euros de crédits. Contrairement à ce qui est affirmé parfois, l’État prend sa part. En cohérence, j’en appelle à une responsabilité partagée.

  • Mme Laure Darcos (INDEP-Essonne) : Le poids des dépenses sociales

Cent millions d’euros, 30 %, c’est la diminution des DMTO pour mon Département de l’Essonne. À l’échelle nationale, les Départements ont perdu 3,9 milliards d’euros entre 2022 et 2023. Les dépenses liées à l’APA, à la PCH, au RSA pèsent pour plus de 10 milliards, avec un reste à charge de 50 % pour les collectivités. L’ASE représente 10 milliards d’euros.

Les Départements doivent assumer une politique migratoire hors de contrôle, les mineurs non accompagnés (MNA) coûtant 2 milliards d’euros, compensés à 6 % seulement. Les 2,5 milliards de plus imposés par l’État en deux ans n’ont pas fait non plus l’objet de compensations.

Vous aviez beau jeu de dire que les Départements pouvaient s’appuyer sur les DMTO, mais les recettes ont disparu. Non, cette crise n’est pas une vue de l’esprit. L’aide aux communes et l’investissement ne doivent pas devenir la variable d’ajustement de leur budget. Ne renonçons pas à ces politiques vertueuses, alors que les Départements revendiquent leur autonomie fiscale.

Quand le Gouvernement prendra-t-il enfin la mesure de la gravité de la situation ? Quand prévoira-t-il un panier de ressources permettant aux Départements de faire face à leurs charges, comme le Sénat le demande depuis longtemps ?

Thomas Cazenave, ministre délégué. – Nous partageons le constat quant aux recettes et aux dépenses. Vous appelez à une nouvelle autonomie fiscale, mais les trois quarts des recettes des Départements sont fiscales : DMTO, TVA désormais, une bonne nouvelle pour les Départements ! Car la TVA est dynamique !

Nous avons doublé l’abondement de l’État au fonds de solidarité, nous accompagnons les quatorze départements en situation difficile. Il faut cibler les mesures, alors que certains ont mis en réserve une partie de leurs ressources – les DMTO ne sont pas la principale.

  • Jean-Michel Arnaud (UC-Hautes-Alpes) Le coût des dépenses de sécurité civile

Comment le Gouvernement accompagnera-t-il les Départements, notamment quand l’État décide sans les collectivités ?

La protection civile, essentielle face aux aléas climatiques. Les négociations européennes pourraient assimiler les sapeurs-pompiers volontaires à des salariés de droit commun : les conséquences budgétaires seraient amplifiées. Que fera le Gouvernement ? Mon Département des Hautes-Alpes a passé sa contribution au service départemental d’incendie et de secours (Sdis) de 7 millions d’euros en 2021 à 8,5 millions désormais.

Thomas Cazenave, ministre délégué.

Une fraction, dynamique, de la TSCA est affectée aux Départements pour la protection civile : 1,4 milliard d’euros en 2023, soit une hausse de 36 % en dix ans. Ainsi, les Hautes-Alpes ont perçu 3 millions, contre 2 millions auparavant.

Lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, nous étions favorables à un amendement de M. Husson visant à augmenter de 50 % la part de TSCA au bataillon de marins-pompiers de Marseille, et pour Mayotte.

  • Grégory Blanc (Gest- Maine -et-Loire) Le poids des dépenses de l’ASE

La situation des Départements, ce n’est pas uniquement l’effet ciseau, c’est aussi la pente des dépenses. Le nombre d’enfants placés a doublé en vingt ans, avec une accélération brutale depuis 2019 – dans mon Département, la protection de l’enfance représente 160 millions d’euros sur un budget de fonctionnement de 640 millions d’euros. Globalement, notre société va bien, mais la part de ceux qui vont mal augmente en France : un jeune garçon de 18-24 ans sur huit, une fille sur quatre a connu un épisode dépressif cette année.

Depuis la décentralisation, l’intervention de l’État social a éclaté en morceaux : celui-ci est protéiforme, non coordonné, sans chef de file pour la protection de l’enfance. Face à des dépenses exponentielles, comment accompagnerez-vous les Départements ? Chef de filat, recentralisation évoquée par Charlotte Caubel ? Comment absorberez-vous financièrement le choc de l’éclatement des familles ? Comment utiliserez-vous les excédents de la branche famille de la caisse d’allocations familiales (CAF) ?

Thomas Cazenave, ministre délégué.

L’État, comme les Départements, est au rendez-vous. Ainsi, nous avons augmenté en 2024 notre soutien de 314 millions d’euros : 140 millions pour les contrats départementaux de prévention et de protection de l’enfance, 50 millions pour la prévention des sorties sèches de l’ASE ou 34 millions pour la participation aux revalorisations salariales dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI). L’accompagnement des MNA fait l’objet d’une demande importante de Départements de France : l’État a majoré sa participation de 100 millions d’euros.

Sur la question de l’enchevêtrement des compétences, le Président de la République a confié une mission à Éric Woerth qui doit faire des propositions. Je suis favorable à la simplification de l’organisation des compétences avec des chefs de file.

  • Pascal Savoldelli (CRCE-Val -de Marne) Quel avenir pour l’autonomie fiscale des Départements ?

Partageons la vérité ! Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) plaidait pour une réforme des DMTO, voire pour leur suppression. En 2024, les Départements perdront 7,5 milliards d’euros de perte pour les Départements. Ils n’ont jamais été autant tributaires d’une double tutelle de l’État, via les dotations et la TVA.

Vous venez de dire que l’octroi d’une fraction de TVA était une bonne nouvelle pour eux, mais cela balaie l’article 72 de la Constitution ! C’est la fin de l’autonomie ! Deux choix s’offrent à eux : soit revoir les prestations à la baisse, soit rehausser le coût des services publics.

Nous sommes en train de porter atteinte au dernier levier fiscal à leur disposition des Départements. Abandonnez cette proposition ! Sinon, quelles sont vos propositions pour créer de nouveaux leviers fiscaux ?

Thomas Cazenave, ministre délégué.- Je tiens à vous rassurer : il n’existe aucun projet de suppression des DMTO ! Cela dit, le débat sur la distinction de l’autonomie financière et fiscale n’est pas nouveau.

C’est l’autonomie financière qui garantit la libre administration des collectivités territoriales. L’autonomie fiscale, c’est la faculté de moduler le taux. Or est-ce plus important d’avoir une autonomie financière ou fiscale ? La liberté de fixer les taux, oui, mais pourquoi ? Pour organiser la concurrence entre les territoires ! La Constitution garantit l’autonomie financière. Je vous invite à examiner le rapport de Jean-René Cazeneuve sur le sujet.

  • Michel Masset (RDSE) Quid des clauses de revoyure pour réviser les transferts de charges ?

Au-delà de son aspect inique sur le plan social, la suppression de l’ASS revient à transférer la coquette somme de 2 milliards d’euros aux Départements. Les 15 heures de bénévolat prévu pour les allocataires du RSA ne peuvent se faire sans accompagnement humain : dans le Lot-et-Garonne, cela représente 600 000 heures à trouver chaque mois. Sans autonomie fiscale, cela se traduira par un recul de l’investissement public.

Monsieur le Ministre, vous connaissez le rôle de pilier des Départements au sein des collectivités territoriales. N’est-ce pas le moment d’instaurer des clauses de revoyure pour les transferts de charges et les suppressions de recettes ?

Thomas Cazenave, ministre délégué.  – Attendons les conclusions de la mission Woerth. Son mandat est large et porte sur le financement, notamment.

La politique de l’emploi, assumée par l’État, et les politiques sociales des Départements sont complémentaires. France Travail fait le jeu des Départements : des bénéficiaires du RSA mieux accompagnés, ce sont autant de personnes qui retrouvent un emploi, et donc moins de dépenses pour les Départements. D’où l’intérêt de prévoir une bonne collaboration entre tous les acteurs.

Vous évoquez la fin de l’ASS, mais nous souhaitons aussi accélérer le retour à l’emploi des bénéficiaires du RSA. La TVA a toujours été une ressource plus dynamique que la CVAE, par exemple.

  • Didier Rambaud (RDPI-Isère) Quels seront les départements bénéficiaires du fonds de sauvegarde ?

L’année 2023 se caractérise par une conjoncture immobilière dégradée. Résultat : une baisse de 20 % des DMTO – la principale ressource des Départements. Mais l’impact de la crise immobilière n’est pas le même selon les territoires.

Après deux années plus favorables, les résultats de 2023 sont préoccupants : c’est pourquoi le Gouvernement a doublé la part de l’État dans le fonds de sauvegarde, pour un montant de 106 millions d’euros.

Quelle sera l’ampleur du soutien accordé et quels seront les Départements bénéficiaires ?

Thomas Cazenave, ministre délégué.  – Vous avez dressé le bon constat, celui de l’hétérogénéité des Départements : certains sont plus touchés par la crise, notamment ceux qui ont plus de bénéficiaires du RSA. Il faut du cousu main pour les aider ! C’est ce que nous avons fait avec le fonds de sauvegarde. Le fonds de solidarité est mobilisé pour les 14 Départements les plus touchés.

  • Mme Isabelle Briquet (PS-Haute Vienne) Comment l’État compensera-t-il la suppression de l’ASS imposée aux départements ?

Lors du projet de loi de finances pour 2024, le Sénat avait voté un renfort de 100 millions d’euros au profit de certains Départements. Mais le Gouvernement alourdit leurs charges en supprimant l’ASS et en transférant les bénéficiaires vers le RSA. Cette décision met en péril leur équation budgétaire : cela coûterait plus de 2 milliards d’euros en RSA – plus de 7 millions pour la seule Haute-Vienne. Sans mesure compensatoire, ce sont autant de renoncements qu’il faudra prévoir. Comment l’État compensera-t-il la suppression de l’ASS imposée aux départements ?

Thomas Cazenave, ministre délégué.- Sur l’ASS, les travaux démarrent. Il ne faut pas considérer la suppression de l’ASS de manière isolée, mais l’envisager de manière plus globale : nous misons sur une politique de retour à l’emploi des bénéficiaires du RSA pour atteindre le plein emploi. Tel est l’objet de la création de France Travail. Nous avons une stratégie gagnant-gagnant avec les Départements en la matière.

  • Mme Valérie Boyer (LR- Bouches du Rhône) L’arrivée exponentielle des MNA

Le nombre de MNA a été multiplié par quatre entre 2014 et 2023, passant de 5 000 à 19 370 personnes ! Le coût moyen annuel est de 50 000 euros par mineur. L’État demande aux collectivités territoriales de gérer un problème relevant du régalien. Les dispositifs de l’ASE sont mis à mal par cet afflux.

Les MNA n’entrent jamais seuls sur le territoire et sont aux mains de trafiquants d’êtres humains. Inexpulsables, bénéficiant d’un accès facilité à la nationalité, les MNA sont devenus une filière d’immigration illégale. L’ASE est un dispositif qui honore la France, mais celui-ci est mis à mal par le trop grand nombre de faux mineurs, qui sont en réalité des migrants économiques ou des délinquants. Monsieur le ministre, que comptez-vous faire ?

Thomas Cazenave, ministre délégué. – L’État et les Départements ont renforcé l’ASE, dont les crédits ont augmenté de plus de 30 % entre 2007 et 2021.

Quelques chiffres : 214 millions d’euros pour le soutien de l’État à la protection de l’enfance, 140 millions pour les contrats départementaux de prévention et de protection de l’enfance, sans oublier le renforcement de la prévention des sorties sèches de l’ASE. Les crédits en faveur de l’accompagnement des MNA ont augmenté de 30 %, pour atteindre 100 millions d’euros. Madame la sénatrice, c’est un enjeu sur lequel nous sommes mobilisés en concertation avec les Départements.

  • Mme Jocelyne Antoine (UC- Meuse) Le basculement de l’ASS vers le RSA

Les dernières mesures sur le RSA ont un impact considérable sur les dépenses des Départements. Or ceux-ci n’ont pas été consultés. Les dépenses liées au RSA sont couvertes à plus de 97,5 % par l’État, dites-vous ? Je n’

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Téa Bazdarevic