Le Point du 24 janvier 2025 : "Quelques pistes de dépenses utiles au Louvre"

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Le Point (web) du 24 janvier 2025

 
ENTRETIEN. Julien Lacaze, président de l’association Sites et monuments, réagit après la note d’alerte adressée au ministère de la Culture par la patronne du musée.

Propos recueillis par Violaine de Montclos - Publié le 24/01/2025 à 18h30

La Joconde, une parmi les 30 000 œuvres visibles au Louvre. © Gonzalo Fuentes / REUTERS

Après la publication, par nos confrères du Parisien, d’une note confidentielle adressée à la ministre de la Culture, Rachida Dati, par la patronne du Louvre, Laurence des Cars, l’Élysée a fait savoir qu’Emmanuel Macron prendrait la parole, mardi prochain, en se déplaçant lui-même au musée. La note, qui alerte le ministère sur la « vétusté » des locaux, « l’obsolescence des équipements techniques », mais aussi les « inquiétantes variations de températures qui mettent en danger la conservation d’œuvres », ressemble en effet à un appel au secours. Chantre du patrimoine, grand ordonnateur du chantier de Notre-Dame, Emmanuel Macron va-t-il endosser personnellement le sauvetage de ce Louvre qu’il avait choisi, en 2017, pour sa grandiloquente investiture ?

La note de Laurence des Cars propose des pistes intéressantes, comme la création d’une nouvelle entrée pour décongestionner celle de la pyramide et un fléchage de visite plus clair pour les 10 millions de visiteurs annuels. Une feuille de route qui a le mérite de pointer sans faux-semblants l’expérience inconfortable, confuse, et souvent déceptive que représente, pour nombre de touristes, la visite du plus grand musée du monde. Et les limites de cet emblème très français, qui n’est sans doute plus adapté à nos modes de consommation culturelle. Julien Lacaze, président de la puissante association Sites et monuments, a lui aussi des idées à soumettre…

Le Point : Dans sa note à Rachida Dati, la présidente du Louvre ose critiquer la pyramide de Pei, qui avait tant fait couler d’encre au moment de sa conception…, et rappelle ce que ressentent la plupart des visiteurs : l’effet de serre créé par la verrière, le traitement phonique médiocre, qui rend cet espace, comme elle le dit elle-même, très « inhospitalier »…

Julien Lacaze : La pyramide, tant décriée en effet à l’époque, n’est pas un geste architectural gratuit, elle visait à matérialiser les trois accès principaux du musée, à distribuer symboliquement les visiteurs dans l’aile Denon, l’aile Sully et l’aile Richelieu. Mais le problème du Louvre, aujourd’hui, ce n’est pas la pyramide, qui a certes ses imperfections, c’est la répartition des flux de visiteurs… Il existe un accès que l’on oublie souvent, très peu fréquenté, celui de la porte des Lions, qui permet d’arriver du côté de la peinture espagnole et des arts premiers. Il y a aussi celui de Richelieu, très souvent fermé, réservé aux Amis du Louvre.

Il faudrait faire de la pédagogie, expliquer aux visiteurs que, en fonction de ce qu’ils veulent voir, il y a différents accès.

Mais le grand paradoxe de ce musée, c’est cette concentration absurde du public dans la salle des États et autour des quelques œuvres emblématiques, et le vide complet de certains départements, notamment celui de la peinture française. Il n’est pas rare de se trouver quasiment seul dans la salle des Poussin ! Or, si l’on avait une entrée à partir de la colonnade de Perrault, comme le suggère Laurence des Cars, on aurait un accès direct, en montant deux étages, à ces salles, on éviterait le goulet d’étranglement de la pyramide : je trouve que c’est une excellente idée. Il faudrait faire de la pédagogie, expliquer aux visiteurs que, en fonction de ce qu’ils veulent voir, il y a différents accès. D’ailleurs, pour le public local, car il faut rappeler que 40 % des visiteurs du Louvre sont français, on pourrait même imaginer un billet sans Joconde !

Elle évoque aussi la vétusté de ce palais, qui n’est au fond pas du tout conçu pour accueillir 10 millions de visiteurs…

On touche là aux limites de ce modèle, archifrançais, d’ultraconcentration des œuvres et de gigantisme. Le budget de fonctionnement annuel du Louvre, c’est 300 millions d’euros. En comparaison, songez que le ministère de la Culture n’alloue que 500 millions d’euros à nos 46 000 monuments historiques ! 30 000 œuvres visibles dans un seul musée, 500 000 si on compte les réserves, 10 millions de visiteurs qui arrivent là-dedans… C’est fou !

La France a un modèle universel et ultracentralisé, on a donc ce musée sublime mais qui est un peu monstrueux.

Les Italiens ne fonctionnent pas du tout comme ça, leurs musées sont beaucoup plus nombreux, plus petits, et ils ont un ancrage territorial : vous allez voir les œuvres de la région que vous visitez, cela a du sens. La France a un modèle universel et ultracentralisé, on a vidé les églises et les châteaux sous la Révolution, concentré toutes les œuvres acquises durant les conquêtes napoléoniennes en un seul lieu, on a donc ce musée sublime, mais qui est un peu monstrueux… La jauge maximale quotidienne a été fixée à 30 000 visiteurs, mais cela reste une expérience extrêmement inconfortable.

Mais que faire ?

Changer le regard des visiteurs ! Aujourd’hui, les gens « font » le Louvre en s’agglutinant, téléphones tendus, autour de cinq œuvres emblématiques : La Joconde, La Victoire de Samothrace, Le Sacre de David, Le Radeau de la Méduse et la Vénus de Milo. On coche les cases, sans regarder, on se prend en photo devant ces cinq emblèmes dont les réseaux sociaux renforcent encore la notoriété, c’est absurde… Mais il y a 30 000 œuvres visibles ! Soit, quand on y songe, une pour chacun des 30 000 visiteurs quotidiens !

Une des pistes serait de créer d’autres stars.

Je crois qu’une des pistes, adaptée aux nouveaux modes de consommation de la culture, serait de créer d’autres stars… Si je dirigeais le Louvre, je créerais un studio dans lequel j’inviterais des historiens à commenter les œuvres, à la manière dont le faisait Alain Jaubert dans sa formidable émission Palettes. Chaque œuvre, même méconnue, a quelque chose à raconter, et on peut aujourd’hui les filmer avec des moyens extraordinaires. Ne reste plus qu’à traduire ces petites capsules dans toutes les langues et à les diffuser sur les réseaux sociaux, pour créer le désir, donner envie aux gens de voir autre chose que ces cinq icônes obsessionnelles…

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Nicole HUET