En 2025, les médias indépendants joueront collectif

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Les élections européennes de 2024 ont marqué un tournant pour la presse indépendante. Tribunes, offres groupées, rassemblements, enquêtes communes, mise en commun de ressources… Pour la première fois, des dizaines de médias, émergents ou non, se sont alliés contre l’extrême droite et son projet vicié. Et ont vu leur impact multiplié. Ce moment a également confirmé l’importance du collectif pour se saisir des enjeux démocratiques actuels. 

Si l’élan de 2024 a démontré la force de faire bloc, il a aussi mis en lumière la nécessité d’un engagement collectif ancré dans la durée avec des alliances construites sur le long terme. Celles-ci pourraient non seulement renforcer la résilience des médias indépendants, mais aussi leur permettre de répondre à des enjeux structurels : soutenir des modèles économiques alternatifs, faire émerger de nouvelles voix dans leurs récits ou repenser leur fonctionnement managérial en intégrant plus de coopération.

Et pour demain ? En 2025, l’union des forces pourrait être le socle d’un écosystème plus collaboratif et inclusif. En intégrant les principes de mutualisation et de coopération à leurs stratégies éditoriales, économiques et managériales, les médias pourraient à la fois préserver et renforcer leur indépendance, mais aussi continuer de répondre à un besoin pour les publics de retrouver du sens et du lien.

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Appel à contributions

L’état des lieux suivant n’est qu’une première pierre du travail que nous mènerons tout au long de l’année aux côtés des médias indépendants, en France et en Europe, afin de documenter et laisser une trace du mouvement de mutualisation qui semble aujourd’hui s’ouvrir entre ces acteurs. Pour mener ce projet à bien, nous avons besoin de vous. Témoignez ! 

Vous qui lancez un nouveau format éditorial aux côtés d’une autre rédaction indépendante, vous qui avez testé par le passé des offres d’abonnements communes, qui projetez de rejoindre un lieu spécialement pour les médias ou qui repensez votre management pour plus de coopération : l’idée consiste à mettre en commun, recueillir des bonnes idées, apprendre de ce qui ne fonctionne pas, tout ça, pour plus de lien et de pratiques vertueuses.

⟶ Envie d’en discuter ? Envoyez un mot à

[email protected]

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Pourquoi mutualiser ? 

☆ Pour multiplier l’impact : unir des ressources donne les moyens de couvrir des sujets sensibles et créer des formats en commun permet de toucher des audiences plus larges.

☆ Pour renforcer la résilience face aux menaces, qu’il s’agisse de pressions politiques, économiques ou judiciaires sur les rédactions indépendantes et pour bénéficier d’un soutien mutuel pour faire face à la concentration des médias. La mutualisation des ressources et des savoir-faire permet ici de mieux résister.

☆ Pour répondre à la fragmentation de l’information : proposer des formats en commun est un moyen de diversifier les points de vue. 

☆ Par les formats éditoriaux

⟶ En décembre dernier, le média sur l’écologie Vert et le média sur les cultures urbaines StreetPress ont annoncé s’associer afin de proposer conjointement des vidéos, des enquêtes et des newsletters liées au climat et à la montée de l’extrême droite en France. Cette collaboration s’inscrit dans le cadre du projet Chaleurs actuelles de Vert sur l’extrême droite, ses climatosceptiques et ses médias, et de la newsletter FAF qui décrypte l’extrême droite chez StreetPress. Une initiative dont Médianes est partenaire, à travers notre réseau de médias européens Sphera.

Annonce du partenariat entre StreetPress et Vert sur Instagram

Pourquoi c’est intéressant :

  • Cela permet de partager les risques et les charges liés à des enquêtes souvent longues et coûteuses.
  • Les formats collaboratifs offrent une vision plus complète des enjeux traités en croisant des expertises complémentaires.
  • C’est une opportunité de marquer les esprits avec des productions de grande qualité, renforçant ainsi la crédibilité des médias impliqués.

☆ Par les lieux

⟶ Au cœur de Berlin, dans le district de Neukölln, un nouveau bâtiment de 6000m2 a ouvert ses portes à ses premier·ères résident·es en septembre 2024 : Publix. Le projet, né en 2017, vise à « garantir un paysage médiatique diversifié et indépendant en Allemagne et en Europe, promouvoir l'innovation journalistique, renforcer le discours démocratique et lutter contre la désinformation ». Pour ce faire, le bâtiment accueillera des organisations et des médias sur le long terme ou sur des périodes courtes. La structure, qui accueille déjà RSF, Investigate Europe ou le centre de formation à destination des journalistes Reporterfabrik, souhaite renforcer la collaboration entre plusieurs acteur·ices de la presse allemande et européenne : « Nous voulons apprendre à nous connaître, nous soutenir mutuellement et unir nos forces pour introduire de nouvelles idées dans le monde. Nous sommes convaincu·es que ces relations améliorent la qualité et l'efficacité du travail de chacun chez Publix ». La structure propose également à ses résident·es des bureaux, des ateliers ainsi que des studios pour la production de contenus audiovisuels.

L'une des premières conférences données à Publix (Berlin)

⟶ En France, La Maison des médias libres est un projet de longue date visant à créer un espace dédié aux médias indépendants à Paris. Dès 2018, plusieurs journalistes et éditeur·ices indépendant·es (Mediapart, Basta!, Arrêt sur images, Politis, Les Jours…) portaient cette ambition, mais faute de lieu et de soutien institutionnel, le projet était resté en suspens. Qu’à cela ne tienne, en juin 2024, l’idée a été remise sur les rails à l’occasion de la vente d’un immeuble situé au 70 boulevard Barbès, dans le 18e arrondissement. Votée à l’unanimité par le Conseil de Paris, l’initiative devrait enfin aboutir et permettre à La Maison des médias libres d’ouvrir ses portes en 2026. Le bâtiment offrira divers espaces tels que des bureaux en open space, des studios, un café-librairie, ainsi que des espaces de conférence. 

Pourquoi c’est intéressant ?

  • Ces espaces favorisent l’émergence d’un écosystème collectif, où chacun·e peut apprendre des autres.
  • Ils renforcent la visibilité des médias indépendants, en leur donnant une présence tangible et en permettant de mobiliser autour de causes communes.
  • En créant des lieux d’échange, ces initiatives contribuent à humaniser les pratiques journalistiques et à reconnecter les rédactions avec leurs publics.

☆ Par les événements

⟶ En septembre 2024, lors de la 89e édition de la Fête de l'Humanité, un Village des médias indépendants a été installé, réunissant des rédactions telles que La Déferlante, Basta!, Blast, Politis, StreetPress, Fakir, Reporterre, L'Âge de Faire, Au Poste, Mediapart, Socialter, Le Média, Le Chiffon, Reporters sans frontières, Acrimed, Sphera, et Vert. Cet espace de 400 m² a accueilli des tables rondes, des émissions en direct, des concerts et des rencontres avec le public, abordant des thématiques comme les violences sexistes et sexuelles, la liberté de la presse ou encore les mobilisations écologistes contre l'extrême droite. L’initiative, née des manifestations contre l'extrême droite en juin et juillet 2024 — plusieurs médias indépendants s’étaient réunis autour de stands sur la Place de la République au moment des rassemblements — a eu pour but de renforcer les liens entre ces médias et de décupler leur impact par le collectif. 

Le village des médias indépendants à la Fête de l’Humanité. Crédits : Margot Desmons, Vert

« Le Village des médias indépendants a été un gros succès, on n’a pas désempli. Pour moi, c’est le signe d’une forte demande du public de lieux où la presse converge et d’une prise de conscience de la part des médias qu’il y a besoin de se renforcer et de se soutenir. Le Village nous a donné une visibilité que nous n’aurions jamais eue tout seuls. S’unir permet de décupler notre impact et notre audience. » Agnès Rousseaux, directrice de Politis, auprès de Vert.

Pourquoi c’est intéressant :

  • Les événements sont un moyen de construire une relation directe avec le public et de rassembler des communautés partageant des valeurs similaires.
  • Ils offrent une plateforme pour confronter les idées, débattre et faire émerger des solutions concrètes.
  • C’est une manière efficace de mobiliser l’opinion publique et de se positionner collectivement sur des sujets clés.

☆ Par la recommandation éditoriale

⟶ En juillet 2024, à l’occasion de la sortie d’une bande-dessinée co-signée par la journaliste de Disclose Ariane Lavrilleux dans les pages de la revue La Déferlante, ces deux médias ont réalisé un partage croisé dans leurs newsletters respectives, ici pour Disclose, et là, pour La Déferlante.

Extraits des newsletters de Disclose et La Déferlante

Pourquoi c’est intéressant :

  • Se recommander mutuellement est une bonne idée pour augmenter sa visibilité et sa découvrabilité. 
  • Ces partenariats permettent de créer des ponts naturels entre deux médias aux contenus différents, mais qui partagent des valeurs d’indépendance et d’engagement.

👉 Dans le cadre de ces partenariats, il est essentiel de bien définir les modalités de la recommandation : son emplacement, le format adopté (brève mention, encadré, mise en avant avec visuel), ainsi que sa longueur afin d’assurer un équilibre entre les deux partenaires.

☆ Par les infrastructures marketing et techniques

⟶ En 2022, le « Printemps des médias indés » proposait des offres d’abonnements communes à quatre médias : Arrêt sur images, Brief Science, Les Jours et Canard PC, à l’initiative de ce dernier. Sur la plateforme de financement participatif Ulule, Canard PC proposait ainsi quatre formules : 1 an d’abonnement aux quatre médias — Arrêt sur images, Brief Science, Les Jours et Canard PC — en numérique à -40%, ou 1 an d’abonnement à Canard PC et à Arrêt sur images, Brief Science ou Les Jours au choix, à -20%. 1686 abonnements ont été vendus, dépassant l’objectif de 417%.

Page Ulule du Printemps des médias indés

⟶ Pendant tout le mois de novembre 2024, Arrêt sur images et Politis ont proposé une offre d’abonnement numérique commune d’un an. « Souvent, pour les lecteurs et les lectrices attaché·es à l’indépendance de la presse, il est difficile de privilégier un titre plus qu’un autre tant l’offre est riche et diverse, mais aussi parce que les budgets sont de plus en plus contraints », souligne Pierre Jacquemain, rédacteur en chef de Politis.

⟶ Depuis l'été 2023, la société Brief Media (Brief.me, Brief.eco, Brief.science) commercialise à des professionnel·les des abonnements et licences d’accès à plusieurs médias en ligne indépendants, parmi lesquels Arrêt sur images, Marsactu ou encore Mediacités. À quoi ça sert ? « À favoriser l’accès à une information pluraliste et de qualité pour les usagers de réseaux de lecture publique ou les élèves des établissements d’enseignement et à renforcer l’indépendance économique et donc éditoriale de ces médias en les aidant à toucher de nouveaux publics et de nouveaux revenus », explique Edmond Espanel, Directeur général.

Pourquoi c’est intéressant :

  • Ces initiatives facilitent l’accès à une diversité de contenus pour les lecteur·ices, tout en leur faisant découvrir de nouveaux médias.
  • Pour les médias, c’est une manière de partager les coûts d’acquisition de nouveaux·elles abonné·es et d’accroître leur visibilité.
  • Ces offres cultivent un sentiment de solidarité et d’appartenance, autant pour les publics que pour les équipes.

☆ Par les moyens financiers

⟶ Le 9 octobre 2024 s’est lancée Coop-médias, une coopérative visant à renforcer l’écosystème des médias indépendants en France. Face à la montée de l'extrême droite et à la concentration des médias, la structure propose aux citoyen·nes de devenir sociétaires en achetant une part sociale à partir de 100 euros. L’objectif était de lever entre 400 000 et 500 000 euros dans un premier temps pour soutenir des projets de presse indépendante. Coop-médias en est aujourd'hui à 700 000 euros levés environ. Concrètement, les médias pourront par la suite obtenir des financement via des appels à projets lancés par la coopérative. Parmi les sociétaires : Politis, Blast, Médiacités, les Jours, Basta !, Vert, StreetPress, Le Média, Médianes… 

Site Internet de Coop-médias

« L’idée, c’est de devenir une ressource pour ces médias indépendants, dont ils seraient aussi parties prenantes. On peut imaginer que la coopérative pourra ainsi proposer une mutualisation de certains outils de gestion de paye par exemple, ou des échanges de pratiques, ou internalisera des com

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Marine Slavitch