Film maudit par excellence, Les Rapaces d’Erich von Stroheim demeure l’un des plus grands mystères du cinéma. Inspiré du roman éponyme de Frank Norris, ce film muet de 1924 fut découpé, amputé, puis quasi détruit par Hollywood. Ainsi, de ce qui devait être une fresque naturaliste de neuf heures, ne subsiste aujourd’hui qu’une version tronquée de deux heures, privant le monde d’une œuvre monumentale. Pourtant, sa force visuelle et narrative en fait un film culte, régulièrement reconstitué à partir de fragments perdus. Plongeons dans Les Rapaces d’Erich von Stroheim : un chef-d’œuvre cinématographique mutilé !
La Naissance d’un Rêve Cinématographique
En 1909, un jeune immigré autrichien, Erich von Stroheim, découvre un livre abandonné dans une chambre d’hôtel miteuse de New York : Les Rapaces de Frank Norris. Ce roman naturaliste, violent et impitoyable, le hante au point qu’il jure d’en faire un film. Quinze ans plus tard, Les Rapaces prend vie sous sa direction.
Stroheim conçoit son film comme un manifeste du réalisme cinématographique. Refusant les artifices hollywoodiens, il filme en décors naturels, pousse ses acteurs à l’extrême et développe des sous-intrigues qui enrichissent l’univers du livre. Le tournage, qui s’étale sur neuf mois, est une véritable épopée. Certaines scènes sont capturées sous une chaleur accablante dans la Vallée de la Mort, d’autres à plus de 400 mètres sous terre dans une mine de charbon. Ce dévouement forcené entraîne un budget astronomique et des tensions avec les producteurs. Mais Stroheim persiste : il veut que son film soit « la vérité, et rien que la vérité« .
L’Amputation d’un Chef-d’œuvre
Une fois le tournage achevé, Stroheim présente un montage de 10 heures, une fresque d’une ambition inouïe. Le verdict des studios est sans appel : le film est inexploitable. Des projections test confirment la puissance de l’œuvre, mais aussi son incapacité à correspondre aux standards commerciaux de l’époque.
D’abord, Stroheim accepte de réduire son film à 5h48, puis à 4h20 sous la supervision de son ami Rex Ingram. Mais avec la fusion des studios Goldwyn et Metro-Goldwyn-Mayer (MGM), le nouveau directeur, Irving Thalberg, impose un remontage drastique. Le film est taillé en pièces jusqu’à ne plus durer que 2h24. Pire encore, les scènes coupées sont détruites. Un massacre qui provoque la rage et le désespoir de Stroheim, qui déclare : « Ce n’est pas un film mutilé, c’est un cadavre« .
Une légende indestructible
Malgré cette mutilation, Les Rapaces conserve une puissance intacte. Son portrait de l’Amérique, rongée par la cupidité et la misère, ne cesse d’inspirer des générations de cinéastes. De Jean Renoir à Paul Thomas Anderson, nombreux sont ceux qui puisent dans la rage et l’authenticité du film.
Au fil des décennies, des chercheurs et archivistes tentent de réssusciter l’œuvre perdue. En 1999, Turner Entertainment entreprend une ambitieuse reconstitution en insérant 650 photographies des scènes disparues, portant le film à une durée de 3h57. Cette tentative, bien que partielle, redonne vie à la vision initiale de Stroheim.
Aujourd’hui encore, le mythe des bobines perdues persiste. Peut-être, un jour, un grenier poussiéreux révélera la version originelle tant convoitée. Mais au fond, Les Rapaces a déjà atteint l’immortalité. Sa légende, nourrie par son sacrifice, en fait un monument du cinéma. Un trésor cinématographique perdu, mais jamais oublié.
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Hakim Aoudia.
