Q - Et c’est l’invité de « L’Essentiel », Christophe Lemoine, bonsoir.
R - Bonsoir.
Q - Vous êtes le porte-parole du ministère français de l’Europe et des affaires étrangères. Alors l’Ukraine, on vient de le voir, Proche-Orient, Moyen-Orient, Algérie, on a beaucoup de sujets à aborder avec vous. Merci d’avoir accepté cette invitation. Les négociateurs américains sont en route vers Moscou, c’est une déclaration de Donald Trump. Est-ce que vous pouvez nous le confirmer ? Est-ce que vous êtes mis dans la confidence, Paris, l’Europe ?
R - Écoutez, le premier accord qui a été trouvé hier à Djeddah est une bonne nouvelle et nous nous en sommes félicités puisque ce serait, si les Russes acceptent la proposition qui a été négociée entre les Américains et les Ukrainiens, un premier pas vers une paix durable, c’est un accord de cessez-le-feu d’un mois, mais ça va dans le bon sens. C’est un accord qui prévoit un cessez-le-feu préalable à des négociations de paix, puisqu’encore une fois, il va falloir avoir des négociations de paix pour une paix durable et stable. Donc c’est une bonne nouvelle…
Q - Finalement, la méthode Trump, elle est plutôt efficace ?
R - Le président Trump a dit depuis le début qu’il voulait la paix, même par la force. C’est un point sur lequel les Européens, et particulièrement la France, étaient d’accord. On a toujours été pour la paix et la cessation du conflit en Ukraine…
Q - Même par la force, même si les contreparties pour l’Ukraine ne sont pas à la hauteur ?
R - Par la force, comprendre amener l’ensemble des participants au conflit à la table des négociations. C’est bien ainsi qu’il fallait l’entendre. L’implication du Président de la République et du Ministre a été, depuis le début de ces discussions, totale. Il y a eu, je vous le rappelle, un déplacement du Président de la République à Washington pour parler directement avec Donald Trump. Le ministre des affaires étrangères Jean-Noël Barrot était très actif aussi pour continuer de maintenir la discussion et le dialogue avec l’ensemble des parties, les Américains comme les Ukrainiens…
Q - Oui, mais Christophe Lemoine, en même temps, on a eu l’impression que les Européens étaient mis sous la touche. Même Emmanuel Macron, qui représentait en quelque sorte l’Union européenne. Là, on a l’impression que c’est Donald Trump avec Vladimir Poutine.
R - C’est un début de discussion, et le secrétaire d’État américain l’a dit, ces discussions ne pourront pas continuer sans les Européens. Les Européens devront être à la table des négociations et c’est ce qui est demandé par les Européens et spécifiquement par le France depuis le début. Donc il n’y aura pas d’exclusion des Européens. L’accord qui a été trouvé hier, c’est un premier pas qui est extrêmement positif, qui doit maintenant être accepté par Moscou. Ça, c’est une étape qui est aussi importante. Il faut que les Russes montrent leur bonne volonté à vouloir parvenir à un accord.
Q - Pour l’instant, ils temporisent. Vladimir Poutine était aujourd’hui, semble-t-il, à Koursk. Il est allé voir les troupes, ses troupes qui sont en train de prendre du terrain, de reprendre du terrain aux Ukrainiens. Est-ce que c’est la méthode Russe ? Est-ce qu’il peut temporiser longtemps, finalement, Vladimir Poutine ?
R - Écoutez, je ne sais pas. C’est plus une question pour lui. Ce qui est certain, c’est que demain, il y aura un contact entre l’administration américaine et l’administration russe et que l’accord qui a été trouvé à Djeddah hier leur sera présenté. Ils devront se prononcer sur cet accord, encore une fois, qui est un accord de cessez-le-feu, c’est un premier pas vers une négociation plus globale pour un accord de paix. Ils devront se prononcer sur ce sujet-là.
Q - Pour vous, pour Paris, c’est une bonne chose ?
R - Oui, c’est une bonne chose, c’est un pas dans le bon sens. Encore une fois, l’objectif final, c’est d’obtenir un accord de paix global et stable pour éviter que les agressions russes ne se reproduisent. On est coutumier depuis plusieurs années d’une Russie qui est très agressive, qui ne respecte pas nécessairement les accords de cessez-le-feu. Il faut cette fois-ci un vrai accord de paix, stable, avec des garanties de sécurité.
Q - Des garanties de sécurité, donc des forces européennes qui pourraient assurer cette sécurité ? Là, 15 pays, on dit qu’ils étaient d’accord pour participer. 15 pays qui l’ont dit à Sébastien Lecornu, le ministre français des armées. Là aussi, on est prêts, les Français, à partir en Ukraine ?
R - C’est un élément des garanties de sécurité. Les garanties de sécurité, ça recouvre beaucoup d’éléments. Les garanties de sécurité, c’est faire en sorte qu’il ne soit plus possible pour la Russie d’agresser à nouveau l’Ukraine ou un autre État de son voisinage. Les garanties sont de divers ordre : ce sont des garanties en matériels, ce sont des garanties diplomatiques aussi. Bien évidemment, dans cet ensemble, il y a des garanties en termes de troupe, mais qui sont des troupes prévues pour superviser le respect de l’accord de paix qui aura été trouvé. Ce ne sont pas des troupes belligérantes bien entendu, ce sont des troupes qui doivent être là pour attester de la véracité du respect de l’accord entre les deux parties.
Q - Mais si un accord, effectivement, est trouvé, si Vladimir Poutine dit aujourd’hui oui, d’accord pour un cessez-le-feu de 30 jours, est-ce-que ça veut dire que des troupes françaises pourraient aller pour surveiller cet accord ?
R - Je pense qu’il ne faut pas confondre deux choses. Il ne faut pas confondre un cessez-le-feu qui est un arrêt des hostilités, et un accord de paix global, qui est une cessation définitive des hostilités. C’est dans ce deuxième cadre que les troupes françaises seraient déployées. Un cessez-le-feu, c’est simplement une première étape d’interruption des conflits pour pouvoir laisser la place à la négociation et laisser la place à la discussion.
Q - Voilà pour l’Ukraine. Pour la Syrie, au moins 1.383 civils ont été tués depuis le 6 mars. Un bilan qui a été donné par une ONG. Beaucoup étaient alaouites. Est-ce que la France réitère son soutien et sa confiance envers le président par intérim, Ahmed al-Charaa ?
R - Les images qui nous sont parvenues de Syrie, et tout particulièrement du nord-ouest syrien, de la région de Lattaquié, sont insoutenables. Et la France a condamné les massacres de civils qui ont eu lieu ces derniers jours. La Syrie est un pays qui est en pleine transition, suite à la chute de Bachar al-Assad. Il y a des autorités par intérim qui sont présentes, qui se sont engagées dans une transition politique ouverte, démocratique, inclusive. Et bien évidemment, cette transition doit se faire selon des conditions et selon des règles…
Q - Est-ce que vous avez pris langue avec le nouveau président justement pour dire…
R - C’est exactement le message qui lui a été passé dès le début, dès son arrivée. Et quand le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, est allé avec son homologue allemande le 3 janvier à Damas pour rencontrer le président al-Charaa, c’est exactement ça qu’ils leur ont dit, en leur disant que si…
Q - Mais là, il y a eu ces massacres.
R - Évidemment, il y a eu ces massacres, et bien évidemment, c’est un épisode qui est extrêmement douloureux, puisqu’il y a un bilan qui est extrêmement lourd. Le président al-Charaa a demandé une commission d’enquête indépendante sur les faits pour déterminer les responsabilités de ce massacre, de savoir qui a provoqué ces attaques, qui a été impliqué dans ces attaques. Et nous devrons regarder quels sont les responsables de ces attaques. En tout état de cause, il est important que le processus de transition continue selon le plan décidé par le président al-Charaa, mais surtout au regard des conditions que l’Union européenne, et spécifiquement la France, ont posé en termes d’inclusivité de la transition.
Q - Un mot aussi, parce que le temps court, de la situation à Gaza. Les stocks d’aide s’épuisent très rapidement, c’est ce que vient de dire l’ONU. Quel est le message de la France ? Comment faire pour que ces négociations entre Israël et le Hamas se passent au mieux, et surtout que cette aide arrive aux Gazaouis ?
R - Effectivement, le premier élément, c’est qu’il faut que les négociations pour le cessez-le-feu soient positives et aboutissent à un accord entre Israël et le Hamas. C’est absolument essentiel. Il y a encore des otages qui sont retenus dans la bande de Gaza. Il faut que ces otages puissent être libérés, c’est un impératif absolu. Mais il faut aussi que ce cessez-le-feu se prolonge pour que l’aide humanitaire puisse rentrer dans la bande de Gaza.
Q - Pour l’heure, ce n’est pas le cas.
R - C’est une nécessité impérieuse, d’une part, parce que la situation humanitaire à Gaza est absolument déplorable et que c’est une obligation. Et c’est une obligation d’Israël au titre du droit international, que de laisser rentrer l’aide humanitaire dans la bande de Gaza. C’est ce qui a été redit par la France à Israël. Encore une fois, l’accès…
Q - Dimanche dernier, oui, mais depuis, comment faire accélérer…
R - L’accès doit être garanti. Encore une fois, c’est une obligation qui revient à Israël au titre du droit international. L’aide humanitaire doit rentrer dans la bande de Gaza. Et ça, c’est quelque chose d’impératif. Et encore une fois, cela va avec un cessez-le-feu qui doit être maintenu pour pouvoir permettre aux populations Gazaouis de vivre et de reprendre un peu pied dans la bande de Gaza.
Q - Dans l’actualité aussi, l’Algérie. Beaucoup de tensions entre la France et l’Algérie suite aux OQTF, les obligations de quitter le territoire français. Jean-Noël Barrot, ministre des affaires étrangères, a dit qu’il fallait donc résoudre les tensions entre les deux pays avec exigence et sans aucune faiblesse. Donc ça veut dire avec fermeté, comme le demande le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau ? Parce que lui, il est pour la manière forte.
R - Ce qu’exprime Jean-Noël Barrot, c’est ce qu’il exprime depuis le début. C’est-à-dire qu’il a, dans un premier temps, appelé au dialogue avec son homologue algérien. Il a rappelé qu’il était ouvert au dialogue. Encore une fois, il y a des difficultés qui existent entre la France et l’Algérie actuellement. Ces difficultés doivent faire l’objet de discussions. Il y a eu…
Q - Encore des discussions, malgré les affaires de faits divers, malgré ces centaines de personnes…
R - Il y a eu, il y a quelques jours, un comité interministériel qui a donné lieu à une conférence de presse du Premier ministre qui a établi différents éléments…
Q - Dont revenir sur les accords de 1968.
R - Non. Alors ce n’est pas exactement comme ça que ça a été formulé. Il a simplement dit qu’il laissait du temps, environ un mois à six semaines, pour laisser encore une fois une place à la discussion, avec une liste spécifique de personnes sous obligation de quitter le territoire français qui serait présenté aux Algériens. Encore une fois, c’est quelque chose qui est en cours…
Q - Donc on a encore le temps de discuter, de prendre le temps ?
R - On attend une réaction de nos homologues algériens, de savoir ce que l’Algérie souhaite faire dans ce contexte. Mais pour le moment, et ça, le Président de la République l’a redit, la question, la cristallisation sur l’accord de 1968 n’est pas une question à laquelle on apporte une réponse aujourd’hui. Ce sera une question pour, éventuellement, plus tard, si tant est qu’on veuille renégocier cet accord, ce qui n’est pas du tout ce qui a été annoncé pour le moment.
Q - Donc ils ont outrepassé les prérogatives du Président, le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur ?
R - Non, pas du tout. Ils n’ont pas outrepassé les prérogatives. Le Premier ministre a indiqué dans sa conférence de presse, évidemment, qu’il avait fait une revue de l’ensemble de la situation, qu’il y avait des difficultés actuellement avec l’Algérie, notamment sur les réadmissions de certains citoyens algériens en Algérie. Ce sont des situations sur lesquelles il faut que nous trouvions des solutions.
Q - Trouver des solutions, prendre le temps. Juste un dernier mot pour la République démocratique du Congo. Vous savez que nous sommes énormément regardés en République démocratique du Congo. Il semblerait que l’Angola essaye des négociations directes entre Kinshasa et le M23, ce mouvement rebelle, donc, qui est à l’œuvre dans l’est du pays. Que peut faire la France ? Quelle est votre réaction après cette annonce ?
R - La France a, d’une part, condamné très fermement et immédiatement les exactions du M23 dans les régions du Kivu, M23 qui est soutenu par le Rwanda. Cette condamnation a toujours été claire et sans aucune ambiguïté. Par ailleurs, la France a toujours dit qu’il fallait privilégier une solution diplomatique au conflit, qu’il fallait ramener à la table des négociations Kinshasa et Kigali, le président Tshisekedi et le président Kagame. Nous avons soutenu les efforts diplomatiques qui ont été menés à un moment par l’Angola, évidemment. Et tout effort diplomatique qui permettra d’apporter une solution à cette crise qui, elle aussi, est une crise humanitaire sérieuse, puisqu’il y a énormément de civils qui sont touchés par ces combats, sera la bienvenue. Et si l’Angola reprend l’initiative, c’est une bonne chose. Il faut trouver une solution diplomatique à ce conflit.
Q - Christophe Lemoine, merci infiniment d’avoir été l’invité de « L’Essentiel ».
R - Merci beaucoup.