Départements de France dénonce les conséquences de l’application du décret du 8 avril 2024, dit « Agrivoltaïsme » - Départements de France - AF

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Un décret du 8 avril 2024, d’application de la loi dite « APER » vient préciser les conditions de mise en place des installations agrivoltaïques et des installations photovoltaïques au sol sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers. Pour rappel, l’article 54 de la loi APER encadre le régime des installations agrivoltaïques, en distinguant les projets agrivoltaïques des projets photovoltaïques compatibles avec une activité agricole, pastorale ou forestière.

La Région Normandie a déposé au printemps dernier un recours auprès du Conseil d’Etat pour faire annuler le décret, appuyée en cela par la Vendée et la Corrèze.

Sur la pertinence du principe de l’« agrivoltaïsme »

Considérant qu’eu égard à l’objectif d’atteindre 100 GW de centrales photovoltaïques d’ici 2050, certains Départements font face à une récente accélération des demandes d’installation de centrales solaires sur les zones naturelles et agricoles. Que cet engouement a été encouragé par la promulgation de la loi d’accélération des énergies renouvelables (APER) en 2023, introduisant la notion « d’agrivoltaïsme » dans le cadre légal ;

Considérant que Départements de France avait jugé que ladite notion « d’agrivoltaïsme » était dangereuse, ouvrant la voie aux cultures « alibis » et à la massification de panneaux solaires sur nos terres agricoles ;

Considérant que, face à ces risques, Départements de France a posé les premiers jalons de sa réflexion sur les opportunités et les limites du photovoltaïque au sol dès 2023, prenant en compte des enjeux de souveraineté alimentaire et énergétique, d’artificialisation, de développement économique et d’acceptabilité locale des projets d’énergies renouvelables (EnR), dans une logique pragmatique d’aménagement territorial ;

Considérant qu’au travers de son premier Livre vert, publié en 2023, Départements de France a affirmé qu’il était souhaitable de privilégier le « développement de centrales photovoltaïques sur les infrastructures existantes, les aires de stationnement et autres surfaces artificialisées ».

Que de nombreuses initiatives ont été prises en ce sens par un certain nombre de Départements avec l’installation de centrales photovoltaïques sur le patrimoine bâti existant, à l’instar des collèges.

Considérant, par voie de conséquence, que le nouvel enjeu du décret, objet de la présente résolution, est bien le devenir des terres arables dont dépend notre capacité de production agricole. Que les projets d’énergies renouvelables ne peuvent se faire au détriment de notre souveraineté alimentaire, sous le seul motif de l’accélération de la transition énergétique et compte tenu du fait que l’électricité française compte déjà parmi les plus décarbonées au monde ;

Considérant que la déprise des terres agricoles n’a jamais été aussi prégnante et les agriculteurs aussi peu soutenus dans leur mission première, à savoir maintenir un haut niveau de production agricole. Que notre agriculture est donc en crise structurelle – faible renouvellement des générations, aléas économiques, climatiques et sanitaires, stigmatisation de l’élevage, concurrence déloyale encouragée par l’Union européenne– et que notre seule réponse serait d’offrir, en lieu en place d’une rétribution décente du travail de nos exploitants, de détourner la vocation initiale des terres arables ;

Considérant, à plus d’un titre, que la production massive d’énergie photovoltaïque pourrait se substituer à l’activité agricole, au point de reléguer celle-ci au second plan. Qu’en effet, pourquoi continuer à labourer, cultiver, soigner, élever, jusqu’à l’épuisement moral et physique, pour parfois ne même pas atteindre le salaire minimum, quand certaines entreprises proposent de confortables revenus pour couvrir les champs de panneaux photovoltaïques ?

Considérant que la volonté de l’Etat de reconquérir notre indépendance énergétique, après vingt années d’impéritie en la matière, ne saurait trouver dans les ressources foncières exceptionnelles de notre pays l’expédient qui permettrait de racheter à bon prix ses erreurs stratégiques d’abandon de nos filières les plus robustes.

Considérant que la situation actuelle de bon nombre d’agriculteurs, exsangues, les place alors dans une relation contractuelle manifestement déséquilibrée avec les opérateurs leur faisant conclure des contrats à la rédaction obscure et aux garanties insuffisantes ;

Considérant que la répartition de la valeur ajoutée théoriquement créée par de telles installations, portées par des opérateurs en recherche de rentabilité rapide, ne profiterait pas à nos agriculteurs et au développement de projets locaux ;

Considérant également que les agriculteurs ne cessent de revendiquer une juste et durable rémunération de leurs revenus, pour limiter leur dépendance aux subventions publiques.

Sur la qualification d’installation « agrivoltaïque » telle qu’issue du décret

Considérant, sur le fondement dudit décret, que pour qu’une installation soit qualifiée d’agrivoltaïque, elle doit cumulativement :

1. Se situer sur une parcelle agricole ;
2. Apporter à cette parcelle agricole au moins l’un des services suivants : l’amélioration du
potentiel et de l’impact agronomique, l’adaptation au changement climatique, la
protection contre les aléas, l’amélioration du bien-être animal ;
3. Garantir à un agriculteur actif une production agricole significative ;
4. Garantir un revenu durable ;
5. Garantir que la production agricole reste l’activité principale ;
6. Être réversible.

Considérant enfin que le détail de ces dispositions citées en exemple, non mentionné dans la présente résolution, révèle une vision technocratique et hors-sol d’une administration centrale toujours plus férue de normes complexes, ne saurait apporter les réponses nécessaires à la crise agricole. Que ces dispositions appellent, sur le fond, à une critique sévère de la part des élus de Départements de France.

Sur la pertinence du décret

Considérant en premier lieu que le déploiement des énergies renouvelables s’inscrit pleinement dans des politiques publiques et dans des stratégies territoriales qui ne peuvent être ignorées, dans lesquelles les Départements jouent un rôle clé en tant que facilitateurs de la transition énergétique sur les territoires et comme garants du partage de la valeur ;

Considérant donc l’occultation des missions des Départements, en particulier en ce qui concerne la cohésion territoriale, en confiant au seul représentant de l’État la responsabilité d’approuver les projets d’agrivoltaïsme sur le territoire départemental et d’accorder, le cas échéant, les dérogations qu’il jugerait nécessaires, sans laisser aux Départements aucune prérogative en la matière, ce qui prive ces derniers de leur capacité à promouvoir la cohésion de leurs territoires ;

Considérant en second lieu que le nouvel article L.314-36 du code de l’énergie issu de la loi APER précitée considère comme agrivoltaïque une installation qui garantit à l’agriculteur « un revenu durable » issu d’« une production agricole significative ». Qu’à cet effet, le paragraphe V du même article prévoit : « Un décret en Conseil d’Etat détermine les modalités d’application du présent article. Il précise les services mentionnés aux 1° à 4° du II ainsi qu’une méthodologie définissant la production agricole significative et le revenu durable en étant issu (…) » ;

Considérant qu’il ressort de ces dispositions que, pour ce qui concerne la notion de revenu durable issu de la production agricole, le décret devait prévoir : d’une part la méthodologie permettant de le définir ; d’autre part des mesures de contrôle et des sanctions qui vont permettre de s’assurer du respect de cette condition posée par la loi pour caractériser une installation agrivoltaïque ;

Considérant d’une part, que la définition qu’il donne du revenu durable issu de la production agricole est insuffisamment précise : « Art. R. 314-117.-Le revenu issu de la production agricole est considéré comme durable lorsque la moyenne des revenus issus de la vente des productions végétales et animales de l’exploitation agricole après l’implantation de l’installation agrivoltaïque n’est pas inférieure à la moyenne des revenus issus de la vente des productions végétales et animales de l’exploitation agricole avant l’implantation de l’installation agrivoltaïque, en tenant compte de l’évolution de la situation économique
générale et de l’exploitation, selon des modalités définies par arrêté. » ;

Considérant que cette définition ne permet donc pas de déterminer la période de référence avant l’installation, sur laquelle la moyenne est calculée et que rien n’indique s’il s’agit d’une période annuelle, trimestrielle, ou autre ;

Considérant donc qu’en dépit d’un arrêté du 5 juillet 2024, l’absence de précision concernant la période de référence rend inopérante la précaution susdite de « revenu durable » issu d’une « production agricole significative » et qu’en résulteraient donc des détournements excessifs de la vocation initiale des terres agricoles, la production d’énergie étant plus rémunératrice que la production agricole.

Considérant par ailleurs que pour caractériser une installation agrivoltaïque, le décret procède par un comparatif entre la moyenne du rendement observé sur une parcelle supportant une installation agrivoltaïque et le rendement observé sur une zone témoin, dépourvue d’installation photovoltaïque. Qu’une installation agrivoltaïque, hors élevage, pourrait être considérée comme agrivoltaïque si la première parcelle a un rendement qui excède 90% du rendement de la seconde ;

Considérant donc que la comparaison de rendement entre deux zones constitue un dispositif biaisé puisqu’il suffirait de diminuer artificiellement le rendement d’une zone témoin, en renonçant à l’entretenir correctement par exemple, afin d’abaisser le seuil de rendement de référence. Qu’ainsi il serait plus aisé de déployer des installations agrivoltaïques ;

Considérant aussi que l’évaluation du rendement des installations agrivoltaïques sur élevage est partielle et insuffisante et que, selon ces dispositions, la transformation de parcelles productives en simples abris pour le bétail, sans production fourragère, pourrait être autorisée ;

Considérant qu’en l’absence de référentiel local disponible, les projets agrivoltaïques sur serre, notamment, seraient dispensés d’une évaluation comparative ;

Considérant, d’ailleurs que, pour des projets déjà déployés aujourd’hui, la réversibilité des
installations agrivoltaïques n’est pas respectée, ce qui laisse présager le pire pour les installations à venir.

Considérant enfin que les obligations assignées à la zone témoin, à la réversibilité des installations et les perspectives de contrôle du respect de ces dernières sont proprement inopérantes.

En conséquence, Département de France alerte les acteurs de la filière sur les conséquences du déploiement excessif d’un mode de production énergétique dont les premières victimes seront les agriculteurs.

Départements de France, s’oppose donc fermement à l’application d’un tel décret, nocif pour notre agriculture et dangereux pour l’acceptabilité de la transition énergétique.

Recapiti
Téa Bazdarevic