Retour du projet de déconcentration des autorisations en site classé !

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Refonder l’État local : conférence de presse du Premier ministre du 8 juillet 2025.

Un projet de décret portant modernisation de la politique des sites classés est actuellement en cours d’arbitrage au sein du ministère de la Transition écologique. Il porte principalement sur la déconcentration de certaines autorisations en site classé (plus beaux paysages français) au niveau du préfet de département.

L’association connaît les écueils propres à la décentralisation des autorisations, en matière de travaux sur les monuments historiques traités par les préfets de région (dossiers de la grande roue place de la Concorde, de l’arrachage des cloisons de l’opéra Garnier, du "remplissage" la maison du Peuple de Clichy, de la vente à la découpe du château de Pontchartrain, etc). Aussi, le maintien d’une centralisation des autorisations concernant les Sites nous semble essentiel en raison des enjeux particuliers qui s’y attachent, notamment fonciers et pécuniaires. Il s’agit, en effet, généralement, de vastes paysages particulièrement beaux et attractifs, donc convoités pour la construction. La possibilité plus réduite de valorisation du bâti protégé au titre des monuments historiques rend la déconcentration des autorisations évidement moins problématique, d’autant qu’elle est réalisée à l’échelon régional et non départemental.

Dès l’origine, la loi du 21 avril 1906 sur les sites - issue d’une proposition de notre ancien Président, le député Charles Beauquier - prévoit, qu’en cas de modification de « l’état des lieux ou de leur aspect », l’« autorisation » d’une commission départementale des sites soit associée à une « approbation » ministérielle (art. 3). Reprenant cette idée, la loi du 2 mai 1930 sur les sites, aujourd’hui toujours applicable dans ses principes, dispose que l’« avis » d’une commission départementale des sites précède l’« autorisation spéciale » délivrée par le ministre (art. 12). C’est cet équilibre plus que centenaire que le projet de décret pourrait compromettre en transférant de nouveaux pouvoirs d’autorisation aux préfets de département.

Or, les 101 préfets de département ne disposent ni de la stabilité, ni de l’expérience (celle du bureau des sites placé auprès du ministre et entièrement dédié à ces questions), ni de la hauteur de vue (cadre national) nécessaires à la conservation de ces joyaux paysagers français et sont évidemment beaucoup plus exposés aux pressions locales, qu’elles soient le fait des élus ou des milieux économiques. Il est a peu près certains que le patrimoine naturel ou bâti pèsera très peu dans les arbitrages préfectoraux.

Sites & Monuments s’était déjà opposée avec succès, en 2019, pour ces mêmes raisons, à un décret de déconcentration totale des autorisations de travaux en site classé. Si le projet de déconcentration actuel procède limitativement par l’établissement d’une liste de compétences à remettre aux préfets de département, il toucherait cependant près de 85 % des autorisations (contre 75 % actuellement).

Ainsi, les préfets, qui gèrent actuellement environ 3000 dossiers par an, en traiteraient 3400 et le ministère environ 600 (contre 1000 actuellement). Le traitement de 400 dossiers est par conséquent en jeu, permettant principalement, selon l’exposé des motifs du projet, de « réduire en pratique d’environ deux mois leur délai de traitement ». Pourtant, la durée moyenne du traitement des dossiers par l’administration centrale serait en réalité de 50 jours, contre 170 jours dans les administrations déconcentrées !

L’enjeu en terme de nombre de dossiers est par conséquent limité, tandis que le gain de deux mois dans leur traitement semble fantaisiste. Peut-être faudrait-il, cela-dit, augmenter les effectifs du bureau des Sites, actuellement composé de seulement onze fonctionnaires dévoués à des missions capitales pour l’attractivité de notre pays ? Outre la question du transfert de moyens dans les préfectures afin de traiter de ces dossiers ministériels et de l’unité perdue de leur traitement - dans le cadre d’une politique nationale du paysage - des obstacles évidents sont à souligner en matière de :

 patrimoine arboré, puisque les autorisations relatives aux "plantations, coupes et abattages d’arbres" seraient déconcentrées, à l’exception de celles relatives aux "défrichements" et à "l’abattage d’un arbre qui est l’objet d’un classement en tant que monument naturel" (c’est-à-dire protégé pour son intérêt seul). Ainsi, l’abattage d’une allée d’arbres incluse dans un site plus vaste ou, par exemple, des platanes bordant le canal du Midi (puisque le classement n’est pas dédié à la seule protection de ces arbres) seraient du ressort des préfets de département en site classé. Tout comme les plantation de peupliers ou de résineux pouvant obstruer une perspective...

 déconcentration de l’approbation des plans simples de gestion (pour les particuliers) et plans d’aménagement forestiers (pour l’ONF). Ces documents encadrent, sur des périodes longues (20 ans), des interventions qui peuvent notablement modifier l’état des sites classés : option pour une coupe rase ou une simple éclaircie des boisements, choix et diversité des essences (notamment plantation ou replantation de résineux ou de peupliers). Autant de décisions dont l’impact peut être majeur pour les fonds de vallées, secteurs de marais, parcs et jardins, etc. Le maintien de l’approbation au niveau central, après examen en commission départementale des sites, apparait ici d’autant plus nécessaire qu’il concerne un document cadre, incontestablement de niveau ministériel ;

 déconcentration des autorisations d’aménagement soumis à déclaration préalable autour des bâtiments privés, de la modification des voies et espaces publics, des plantations, du mobilier urbain ou des œuvres d’art, sujets visés aux articles R. 421-24 et 25 du code de l’urbanisme pouvant s’avérer importants esthétiquement et sujets à de fortes pressions locales ;

 déconcentration des affouillements et exhaussements du sol, allant jusqu’à deux mètres de haut ou de profondeur et deux hectares de superficie, ce qui peut induire une modification très conséquente d’un site classé, notamment en permettant le dérochement de certaines parcelles à la demande d’agriculteurs (pratique néfaste aux paysages identifiée notamment en Lozère) ;

 déconcentration des ravalements visés à l’article R. 421-17-1 du code de l’urbanisme, déclaration préalable sensible en raison de l’aspect de certains enduits isolants et de l’usage de la technique de l’isolation thermique par l’extérieur (ITE) ;

 déconcentration des permis modificatifs pouvant concerner des projets tout à fait significatifs depuis un arrêt du Conseil d’Etat de juillet 2022, puisque le critère de l’absence de "remise en cause de la conception générale du projet" a été assoupli, un permis modificatif pouvant désormais être obtenu lorsque les modifications envisagées "n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même" (Conseil d’État, Section, 26/07/2022, n°437765, Publié au recueil Lebon). La juridiction administrative suprême a ainsi considéré que relevait bien d’un permis modificatif "la jonction de deux bâtiments initiaux en une seule construction par un escalier couvert commun, la surélévation d’une partie de la construction en rez-de-chaussée par l’adjonction d’une terrasse d’une surface de plancher de 4 m², ainsi que le remplacement d’un mur et de deux pare-vues en bois par deux murs en briques."

Alors que permis simple et permis modificatifs étaient toujours traités par le bureau des Sites, la simplification conduirait ici à une complexification administrative, l’administration préfectorale n’ayant pas traité du dossier principal. Même remarque s’il était, à l’avenir, distingué entre la démolition de constructions antérieures ou postérieures à la date de classement du site comme le prévoit le projet de décret. Mieux vaut ainsi laisser l’entièreté du champ des permis au niveau ministériel, par simplicité, cohérence et lisibilité de la délivrances des autorisations pour le public ;

 déconcentration des travaux sur les monuments historiques, qui peut concerner un monument bâti, mais aussi le foncier qui lui est associé (parcs et jardins de châteaux, sites d’abbayes, etc). Dans ce cas, l’une des spécificités de l’autorisation donnée au titre des Sites est d’être centralisée et le fruit d’une expertise en matière de paysages, contrairement à celle délivrée au titre des monuments historiques, déconcentrée au niveau régional.

Au total, devant la faiblesse du nombre de dossiers en cause, les simplifications d’apparence et le risque encouru par la politique nationale du paysage gérée au niveau central, Sites & Monuments est opposée à la déconcentration des autorisations prévue par le projet de décret (modifications de l’article R. 341-10 du code de l’urbanisme essentiellement).

Sites & Monuments reconnaît en revanche plusieurs évolutions a priori positives dans le projet de décret, comme la mention de l’inspection des sites dans les procédures, une meilleure définition du contenu des dossiers d’autorisations, la clarification des procédures de classement, la plus grande lisibilité des instructions, notamment en cas de superposition, l’harmonisation des codes en cas de procédures croisées, les précisions relatives aux sites inscrits ou aux délais.

Julien Lacaze, président de Sites & Monuments

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Julien Lacaze