Refonder l’État local : conférence de presse du Premier ministre du 8 juillet 2025.
Un projet de décret portant modernisation de la politique des sites classés est soumis à la consultation du public du 26 juin au 17 juillet 2025. Il porte principalement sur la déconcentration de certaines autorisations en Site classé au niveau du préfet de département. Il s’agit, comme le précise la consultation, d’un statut "garantissent la pérennité des plus beaux paysages de France, au nombre de 2 700 et couvrant 1,9 % du territoire".
L’association connaît les écueils propres à la déconcentration des autorisations, en matière de travaux sur les monuments historiques traités par les préfets de région (dossiers de la grande roue place de la Concorde, de l’arrachage des cloisons de l’opéra Garnier, du "remplissage" la maison du Peuple de Clichy, de la vente à la découpe du château de Pontchartrain, etc). Le maintien d’une centralisation des autorisations concernant les Sites nous semble à plus forte raison nécessaire en raison des enjeux particuliers qui s’y attachent, notamment fonciers et pécuniaires. Il s’agit, en effet, généralement, de vastes paysages particulièrement beaux et attractifs, donc convoités pour la construction.
Dès l’origine, la loi du 21 avril 1906 sur les sites - issue d’une proposition de notre ancien Président, le député Charles Beauquier - prévoit, qu’en cas de modification de « l’état des lieux ou de leur aspect », l’« autorisation » d’une commission départementale des sites soit associée à une « approbation » ministérielle (art. 3). Reprenant cette idée, la loi du 2 mai 1930 sur les sites, aujourd’hui toujours applicable dans ses principes, dispose que l’« avis » d’une commission départementale des sites précède l’« autorisation spéciale » délivrée par le ministre (art. 12). C’est cet équilibre plus que centenaire que le projet de décret pourrait compromettre en transférant de nouveaux pouvoirs d’autorisation aux préfets de département.
Or, les 101 préfets de département ne disposent ni de la stabilité, ni de l’expérience (celle du bureau des Sites placé auprès du ministre et entièrement dédié à ces questions), ni de la hauteur de vue (cadre national) nécessaires à la conservation de ces joyaux paysagers français et sont évidemment beaucoup plus exposés aux pressions locales, qu’elles soient le fait des élus ou des milieux économiques. Il est a peu près certain que le patrimoine naturel ou bâti pèsera très peu dans les arbitrages préfectoraux. Centraliser la décision revient en revanche à la délocaliser, ce qui ne peut être que bénéfique à l’expression de l’intérêt général.
Sites & Monuments s’était déjà opposée avec succès, en 2019, pour ces mêmes raisons, à un décret de déconcentration totale des autorisations de travaux en site classé. Si le projet de déconcentration actuel procède limitativement par l’établissement d’une liste de compétences à remettre aux préfets de département, il toucherait cependant près de 85 % des autorisations (contre 75 % actuellement).
Ainsi, les préfets, qui gèrent actuellement environ 3000 dossiers par an, en traiteraient 3400, ceux vus par le ministère seraient en contrepartie réduits à environ 600 (contre 1000 actuellement). Le traitement de seulement 400 dossiers est par conséquent en jeu, permettant principalement, selon l’exposé des motifs du projet, de « réduire en pratique d’environ deux mois leur délai de traitement ». Pourtant, la durée moyenne du traitement des dossiers par l’administration centrale serait en réalité de 50 jours, contre 170 jours dans les administrations déconcentrées !
L’enjeu en terme de nombre de dossiers est par conséquent limité, tandis que le gain de deux mois dans leur traitement semble fantaisiste. Peut-être faudrait-il, cela-dit, augmenter les effectifs du bureau des Sites, actuellement composé de seulement une douzaine de fonctionnaires dévoués à des missions capitales pour l’attractivité de notre pays ? Cette mesure serait sans doute plus économique que le transfert de moyens dans les préfectures afin de traiter de ces dossiers ministériels.
Le niveau central permet l’émergence d’une jurisprudence technique nationale applicable à l’ensemble du patrimoine paysager français ou, à tout le moins, permet d’établir une doctrine. L’unité du traitement des dossiers permet aussi d’assurer l’égalité des pétitionnaires. La déconcentration amènerait chaque département à élaborer sa politique, conduisant à ce que, dans une situation très similaire, certaines installations soient interdites dans un site, alors qu’elles pourraient être autorisées dans un autre.
Certaines des déconcentrations d’autorisation prévues par le décret seraient problématiques, notamment :
– la déconcentration des "plantations, coupes et abattages d’arbres", à l’exception de celles relatives aux "défrichements" et à "l’abattage d’un arbre qui est l’objet d’un classement en tant que monument naturel" (c’est-à-dire protégé pour son intérêt propre). Ainsi, l’abattage d’une allée d’arbres incluse dans un site plus vaste ou complexe, par exemple des platanes bordant le canal du Midi (puisque le classement n’est pas dédié à la seule protection de ces arbres), serait du ressort des préfets de département. Tout comme les plantation de peupliers ou de résineux pouvant obstruer une perspective...
Abattages d’arbres le long du canal du Midi.
– la déconcentration de l’approbation des plans simples de gestion (pour les particuliers) et plans d’aménagement forestiers (pour l’ONF). Ces documents encadrent, sur des périodes longues (20 ans), des interventions qui peuvent notablement modifier l’état des sites classés : option pour une coupe rase ou de simples éclaircies tournantes des boisements, choix des essences (notamment plantation ou replantation de résineux ou de peupliers). Autant de décisions dont l’impact peut être majeur pour les fonds de vallées, secteurs de marais, parcs et jardins, etc. Le maintien de l’approbation au niveau central, après examen en commission départementale des sites, apparait ici d’autant plus nécessaire qu’il concerne un document cadre, incontestablement de niveau ministériel ;
– la déconcentration des autorisations d’aménagement soumis à déclaration préalable autour des bâtiments privés, de la modification des voies et espaces publics, des plantations, du mobilier urbain ou des œuvres d’art, sujets visés aux articles R. 421-24 et 25 du code de l’urbanisme pouvant s’avérer importants esthétiquement et sujets à de fortes pressions locales ;
Exemple de paysage dégradé par un mobilier urbain inapproprié.
– la déconcentration des affouillements et exhaussements du sol, allant jusqu’à deux mètres de haut ou de profondeur et deux hectares de superficie, ce qui peut induire une modification très conséquente d’un site classé, notamment en permettant le dérochement de certaines parcelles à la demande d’agriculteurs (pratique néfaste aux paysages) ;
– la déconcentration des ravalements visés à l’article R. 421-17-1 du code de l’urbanisme, déclaration préalable sensible en raison de l’aspect de certains enduits isolants et de l’usage de la technique de l’isolation thermique par l’extérieur (ITE) ;
– la déconcentration des permis modificatifs. Ceux-ci peuvent concerner des projets tout à fait significatifs depuis un arrêt du Conseil d’Etat de juillet 2022, puisque le critère de l’absence de "remise en cause de la conception générale du projet" a été assoupli, un permis modificatif pouvant désormais être obtenu lorsque les modifications envisagées "n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même" (Conseil d’État, Section, 26/07/2022, n°437765, Publié au recueil Lebon). La juridiction administrative suprême a ainsi considéré que relevait bien d’un permis modificatif "la jonction de deux bâtiments initiaux en une seule construction par un escalier couvert commun, la surélévation d’une partie de la construction en rez-de-chaussée par l’adjonction d’une terrasse d’une surface de plancher de 4 m², le remplacement d’un mur et de deux pare-vues en bois par deux murs en briques", autant de changements du projet pouvant avoir un impact paysager grave.
Des permis modificatifs de plus en plus extensifs.
Alors que permis simple et permis modificatifs étaient toujours traités par le bureau des Sites, la simplification conduirait ici à une complexification administrative, l’administration préfectorale n’ayant pas traité du dossier principal. Même remarque s’il était, à l’avenir, distingué entre la démolition de constructions antérieures ou postérieures à la date de classement du site comme le prévoit le projet de décret. Mieux vaut ainsi laisser l’entièreté du champ des permis au niveau ministériel, par simplicité, cohérence et lisibilit