Une nouvelle étude détaille les violations des droits humains et de l’environnement liées à l’exploitation minière dans le « triangle du lithium » d’Argentine, Bolivie et Chili. L’explosion de la demande pour ce minerai essentiel aux batteries des véhicules électriques et aux énergies renouvelables a déjà endommagé l’un des écosystèmes les plus arides et fragiles au monde et alimenté les troubles sociopolitiques. L’accélération de l’exploitation expose les peuples autochtones, les communautés rurales et les biomes à des risques majeurs.
Santiago du Chili, Buenos Aires, La Paz et Paris, le 12 août 2025. Alors que la demande mondiale en lithium augmente, l’Argentine, la Bolivie et le Chili intensifient leurs efforts pour exploiter leurs vastes réserves à des fins économiques. Mais comme le montre une nouvelle analyse (en anglais), les États et les entreprises qui opèrent dans ces pays ne respectent pas leurs obligations en matière de droits humains.
« Il est urgent d’abandonner les combustibles fossiles et de transformer notre modèle énergétique, mais cela ne doit pas se faire au détriment des communautés et de l’environnement. Le triangle du lithium est devenu emblématique tant des risques graves liés à la ruée vers les minéraux de transition, que des conséquences des politiques qui ne prennent pas en compte la voix des communautés et ne garantissent pas la responsabilité des entreprises », a déclaré Sacha Feierabend, Chercheur senior sur entreprises et droits humains à la Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH).
L’étude offre un riche aperçu transrégional des violations et des problèmes constatés dans le triangle du lithium. Elle souligne également les risques majeurs d’escalade liés aux violations auxquelles les communautés, souvent exclues et non consultées, seraient exposées en raison du développement rapide des projets en l’absence de cadre réglementaire adéquat.
L’étude a été réalisée par l’Observatorio Ciudadano (Chili), le Centro de Estudios Legales y Sociales (CELS, Argentine), le Postgrado en Ciencias del Desarrollo CIDES de l’Universidad Mayor de San Andrés (Bolivie) et la FIDH.
Menaces pour l’environnement, les communautés autochtones et les activistes
Des entreprises privées et publiques, y compris des sociétés transnationales d’autres pays, se sont implantées dans une région qui détient 50 % des réserves mondiales connues de lithium. Comme explique l’étude, la course à l’extraction de minéraux pour les énergies renouvelables et les batteries de véhicules électriques, en particulier pour les marchés de l’UE, de la Chine et des États-Unis, risque d’aggraver la pression sur les communautés autochtones et la nature.
Un processus d’extraction intensif en eau a compromis des ressources vitales dans une zone extrêmement aride et particulièrement exposée au changement climatique. De l’eau riche en lithium est pompée dans de grands bassins d’évaporation et laissée à sécher au soleil et au vent. Cela a entraîné la disparition progressive des zones humides et épuise les ressources hydriques dont les communautés ont désespérément besoin pour l’agriculture et leur subsistance.
Les États et les entreprises n’ont pas non plus pris les mesures nécessaires pour garantir les droits des communautés à la participation et à la consultation. Les salines sont historiquement habitées par des peuples autochtones. La pression exercée pour l’extraction du lithium a eu un impact négatif non seulement sur leurs droits fonciers, mais aussi sur les droits leur reconnus dans le contexte des activités extractives sur leurs terres et territoires.
« Malgré les obligations acceptées par l’Argentine, la Bolivie et le Chili qui ont signé la Convention 169 de l’OIT et d’autres instruments internationaux applicables aux peuples autochtones, les projets développés dans les salines des hautes Andes n’ont pas été soumis aux communautés afin d’obtenir leur consentement. Ces dernières n’ont ni eu accès au partage des bénéfices générés par cette industrie, ni été indemnisées pour les dommages causés aux écosystèmes d’où le lithium a été extrait. Tout cela a de graves conséquences sur leur vie », a déclaré José Aylwin, Coordinateur du programme Globalisation et droits humains à l’Observatorio Ciudadano.
De plus, les gouvernements ont recours à des lois restreignant la liberté d’association afin d’encourager le développement de l’industrie. Les défenseur·es de l’environnement sont victimes de violentes répressions et de harcèlement pour avoir dénoncé l’absence de consultation, d’information et d’indemnisation, en particulier en Argentine et en Bolivie. À titre d’exemple, des centaines de personnes ont été blessées et au moins 90 ont été arrêtées lors de manifestations contre la réforme constitutionnelle dans la province argentine de Jujuy. Beaucoup font l’objet de poursuites judiciaires pour des crimes ou des délits.
« La criminalisation des défenseur·es s’est aggravée ces derniers mois. Le gouvernement national argentin a pris une série de décisions visant à garantir les meilleures conditions possibles pour les industries extractives dans le pays, à tout prix. Cela inclut la mobilisation des services de renseignement de l’État pour espionner les organisations environnementales et la création d’une unité de sécurité spécifique pour intervenir dans les conflits qui affectent les processus de production », a déclaré Manuel Tufró, Directeur du programme Justice et sécurité de CELS.
« Les États et les entreprises doivent assumer leurs responsabilités pour remédier aux effets néfastes du développement minier sur les droits humains et l’environnement, et pour prévenir ceux qui pourraient survenir avec l’intensification de l’activité. Ils doivent tous deux veiller à ce que la transition énergétique, même urgente, soit véritablement juste et équitable et ne génère pas davantage d’injustices et de violations à l’égard des territoires autochtones et des populations locales », a déclaré Manuel Olivera Andrade, Chercheur et Professeur à l’Universidad Mayor de San Andrés.
Cette première étude s’appuie sur un processus de documentation mené par les communautés autochtones et locales des trois pays, mis en place en collaboration avec les quatre organisations. Les résultats de cette recherche seront intégrés dans trois rapports nationaux sur les violations émergentes, qui seront publiés en 2026.