Disparu le 13 août 2025, Sonallah Ibrahim laisse derrière lui une œuvre aussi percutante que nécessaire. Ce « pilier de la littérature arabe contemporaine » mérite une plongée attentive dans ses récits engagés et lucides. Des œuvres marquantes qui reflètent, avec une vérité tranchante, les enjeux politiques et humains de son époque. Ainsi, son écriture, épurée et implacable, dessine une Égypte à la fois documentaire et irrévocablement humaine. De Warda aux Années de Zeth, chacun de ses romans sonne comme un cri. À travers ces pages, on retrouve cet équilibre rare entre mémoire collective, histoire vécue et résistance littéraire. Aujourd’hui, plus que jamais, son œuvre résonne comme un puissant appel à la réflexion. Voici donc notre sélection, certes subjective et non exhaustive, des meilleurs livres de Sonallah Ibrahim à lire absolument !
Warda
Warda, dernier roman de Sonallah Ibrahim, donne voix à une figure révolutionnaire oubliée. L’écrivaine égyptien redessine, avec rigueur et émotion, le destin de Warda. Une femme lucide et courageuse engagée dans la guérilla du Dhofar (Oman) dans les années 1960-70. Le récit s’articule autour de la découverte par un narrateur, auprès d’un mystérieux messager, du journal intime de Warda. Ainsi, son texte devient le cœur vibrant du roman, vibrant hommage à l’esprit révolutionnaire de son époque.
Ibrahim transpose l’histoire géopolitique en écriture intime, offrant un personnage qui n’est pas une abstraction idéologique. Mais une femme complexe et libre, à la beauté tragique et à la détermination intacte. Warda éclaire les ombres de l’Histoire et fait résonner aujourd’hui la force impérieuse des engagements passés.
Le Comité
Dans Le Comité, Sonallah Ibrahim dissèque avec une froideur clinique les rouages sinistres d’un pouvoir invisible. Ce roman, publié en version française en 1992 chez Actes Sud, met en scène un intellectuel sommé par un mystérieux comité, mêlant civils et militaires, de désigner « la personnalité la plus brillante du monde arabe ». Seul à s’engager dans cette mission kafkaïenne, le narrateur découvre que le danger se cache derrière l’insistance de la requête. Ainsi, ce piège absurde vise à tester sa soumission à un appareil oppressif, simulacre du pouvoir égyptien et de ses censures.
Ibrahim investit ici une écriture glacée, quasi documentaire, qui instille une tension sourde entre désir de reconnaissance et instinct de survie. Avec Le Comité, il livre une satire politique acérée et intemporelle, examinant la condition de l’intellectuel écrasé par les machines du pouvoir.
Les années de Zeth
Dans Les Années de Zeth, Sonallah Ibrahim trace une fresque sensible et désenchantée de l’Égypte contemporaine. Zeth vit dans un appartement du Caire, où les égouts débordent et les immeubles s’effondrent. Un décor urbain qui broie les rêves et impose l’urgence du réel. À travers le parcours d’une femme ordinaire, le roman expose les illusions postnationales, le glissement vers la corruption d’État et les tensions entre occidentalisation et islamisation. Avec finesse, Ibrahim compose une chronique où les stéréotypes côtoient des bribes de presse, fragments de quotidien qui se muent en rébus inquiétants de la société égyptienne.
Par-delà sa portée politique, ce récit frappe par son empathie : Zeth n’est pas un symbole, mais une présence vivante, hantée par l’histoire collective et ses désillusions. Les Années de Zeth s’impose ainsi comme une œuvre clé, marquante dans la littérature arabe moderne — une invitation à sonder nos rêves à l’épreuve du temps.
Le Petit Voyeur
Sonallah Ibrahim, dans Le Petit voyeur, offre un regard aigu sur l’enfance égyptienne d’après-guerre, où la curiosité du narrateur devient arme de compréhension. Dans le Caire des années 1940, un garçonnet partage un modeste logement avec son père. Il espionne les gestes du quotidien — un voisin, une voisine, des moments volés — qu’il consigne avec une précision clinique, témoignant du régime déliquescent de Farouk, des secousses politiques et des tensions sociales — sans jamais expliciter tragiquement l’Histoire, mais la laissant poindre dans les interstices du détail.
Ce récit, largement autobiographique, adopte une écriture dépouillée, froide, presque documentaire : “Je hais le lyrisme. Le roman, c’est l’art du détail.” Une phrase qui résonne comme une esthétique de vérité. Le Petit voyeur est ainsi un roman dense, où la voix d’un enfant dessine à la fois le cocon familial et les fractures d’une société en mutation. Un livre captivant, au scalpel !
Charaf ou l’honneur
Charaf ou l’honneur nous plonge au cœur du Caire, où un jeune homme de vingt ans, Charaf (« honneur » en arabe), tue accidentellement un étranger qui lui faisait des avances. Confronté à un interrogatoire brutal, il avoue l’avoir assassiné pour le voler. Cet acte déclenche sa descente aux enfers, où la prison lui fait perdre à jamais ce qu’il croyait protéger.
Journaliste et ancien détenu entre 1959 et 1964, Sonallah Ibrahim infuse son récit d’une vérité crue, mêlant témoignage et fiction avec sobriété. Charaf ou l’honneur interroge les notions d’identité masculine, de responsabilité et d’illusion d’honneur, tissant une critique pudique mais implacable du système carcéral et social. Un roman incisif, poignant, empreint d’une humanité désenchantée — une voix majeure de la littérature contemporaine et arabe.
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Hakim Aoudia.
