« Au dire de Freud, un peu de différence mène au racisme. Mais, beaucoup de différences en éloignent irrémédiablement », rappelait Roland Barthes. Dans un monde traversé par les tensions identitaires, cette phrase éclaire une vérité essentielle : c’est par la connaissance de l’autre, dans toute sa richesse et sa complexité, que naît la tolérance. Ainsi, lire, c’est aller à la rencontre de ces différences et comprendre les mécanismes du rejet pour mieux les dépasser. Voici donc notre sélection, certes subjective et non exhaustive, des meilleurs livres pour comprendre et combattre le racisme !
Race, nation, classe (Étienne Balibar/Immanuel Wallerstein)
Paru initialement en 1988, puis réédité en 2018 aux éditions La Découverte, Race, nation, classe est devenu un ouvrage incontournable en sciences humaines. Cet essai se présente sous la forme d’un dialogue stimulant entre Étienne Balibar, philosophe français, et Immanuel Wallerstein, historien américain, unissant théorie critique et engagement militant.
Les auteurs y défendent une thèse forte : le racisme ne serait pas une survivance irrationnelle, mais un rapport social structurel, indissociable de l’universalisme bourgeois et des formes modernes du capitalisme. Balibar souligne l’articulation entre race et nation, tandis que Wallerstein inscrit le phénomène dans l’économie-monde et la division centre-périphérie. Avec rigueur et clarté, les auteurs explorent les tensions entre racisme, nationalisme et classe sociale, appelant à repenser les catégories identitaires. Un ouvrage dense, engagé et toujours actuel, au croisement du politique et du sociologique.
Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur (Harper Lee)
Publié en 1960, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur est un roman d’apprentissage et de décryptage social, qui a remporté le prix Pulitzer en 1961. À travers les yeux de Scout Finch, une fillette vive de l’Alabama des années 1930, Harper Lee dresse le portrait d’une ville ségrégationniste et d’une Amérique en crise. Son père, l’avocat Atticus Finch, incarne la justice et l’intégrité lorsqu’il défend un homme noir accusé à tort.
Le roman articule de façon magistrale l’innocence de l’enfance et la lutte contre le racisme, symbolisés par l’oiseau moqueur, fragile et injustement condamné. L’écriture, dépouillée et puissante, invite à une réflexion universelle sur l’empathie et la tolérance. Considéré comme un classique incontournable de la littérature américaine, ce livre est étudié dans le monde entier et continue d’éclairer les enjeux raciaux et éducatifs.
Comprendre le racisme quotidien (Philomena Essed)
Comprendre le racisme quotidien, de Philomena Essed (Éditions Syllepse, juin 2024) est un essai majeur, enfin traduit en français, posant un regard aigu sur les formes subtiles et ordinaires du racisme. L’autrice, sociologue d’origine surinamienne et néerlandaise, s’appuie sur une vaste enquête comparée menée auprès de femmes noires aux États‑Unis et aux Pays‑Bas, révélant comment des micro‑exclusions — silences, omissions, relégation sociale — tissent un ordre social racialement codé.
Essed y critique l’idée que le racisme systémique serait essentiellement américain, montrant au contraire sa portée globale, y compris dans les démocraties occidentales réputées « antiracistes ». Grâce à un appareil théorique rigoureux, elle rend visible ce « racisme au quotidien » qui repose sur un cumul de pratiques invisibles mais puissantes. En résumé, une lecture indispensable pour qui veut déconstruire les banalités raciales d’un monde moderne encore peu conscient de ses stigmates silencieux.
Un long chemin vers la liberté (Nelson Mandela)
Un long chemin vers la liberté, autobiographie magistrale de Nelson Mandela, retrace avec lucidité le parcours hors norme d’un homme devenu symbole universel de lutte et de réconciliation. Publié en 1994 (édition originale) et traduit en France en 1995, cet ouvrage de 768 pages narre l’enfance au Transkei, la fondation du premier cabinet d’avocats noirs, la trajectoire au sein de l’ANC, la clandestinité, la lutte armée et vingt-sept ans de prison à Robben Island.
Mandela y mêle souvenirs intimes et réflexion politique, offrant un récit pluriel, document historique majeur et manifeste moral pour la dignité humaine. Le style se déploie avec sobriété, humanité et profondeur : la plume est celle d’un leader conscient de son histoire et de celle d’un peuple. Texte exigeant mais inspirant, Un long chemin vers la liberté demeure une lecture essentielle pour appréhender la fin de l’apartheid et la construction d’une nation arc‑en‑ciel.
Racisme et culture (Michel Agier)
Dans cet essai rigoureux et engagé, Michel Agier, anthropologue renommé (IRD, EHESS), explore le racisme en tant que construction culturelle et politique globale. Il rappelle que « si la race n’existe pas biologiquement, elle existe socialement » et analyse l’infrapensée raciste, héritage du projet colonial européen.
Le livre croise trente années d’enquête en Afrique, Amérique latine et en France, relisant les œuvres de Lévi‑Strauss, Fanon, Guillaumin ou Hall pour éclairer les mécanismes d’assignation identitaire. Agier montre aussi comment la culture peut se faire riposte : carnavals afro‑brésiliens, performances poétiques ou théâtrales créent d’autres récits de soi, réinjectent de l’imaginaire et de l’utopie face à l’oppression raciale. Un texte incisif et lumineux, où l’ethnographe propose des voies concrètes pour que « le racisme ne puisse pas agir en paix ».
La Case de l’oncle Tom (Harriet Beecher Stowe)
Publié en 1852, La Case de l’oncle Tom de Harriet Beecher Stowe est un roman phare de la littérature antiesclavagiste, né d’un feuilleton débutant le 5 juin 1851 dans The National Era avant sa publication en deux volumes le 20 mars 1852. Il s’appuie notamment sur l’autobiographie de Josiah Henson, esclave fugitif devenu pasteur au Canada.
Humanisant la souffrance des esclaves à travers le personnage christique d’Oncle Tom, l’ouvrage touche profondément l’opinion publique et alimente le débat national sur l’esclavage, jusqu’à être cité comme l’un des éléments déclencheurs de la guerre de Sécession.
Cependant, le roman suscite aussi de sévères critiques : ses stéréotypes raciaux et sa représentation passive du héros ont été dénoncés par James Baldwin et les mouvements noirs du XXᵉ siècle. Aujourd’hui encore, l’œuvre conserve toute sa force historique comme outil majeur de conscience collective.
Sociologie du racisme (Véronique De Rudder)
Publié en novembre 2019 aux éditions Syllepse, Sociologie du racisme rassemble dix-sept textes majeurs de Véronique De Rudder, introduits par Étienne Balibar et soigneusement édités par Maryse Tripier et ses collègues. L’auteure y déconstruit le « républicanisme universel », en soulignant que l’universalisme à la française coexiste paradoxalement avec un système de discriminations institutionnelles ou tacites à l’égard des personnes issues de l’immigration post‑coloniale et leurs enfants. De Rudder interroge la statistique comme instrument d’État, soulignant les biais idéologiques présents dans les catégories comme « Français de souche ». Son approche théorique, fondée sur les relations et rapports inter‑ethniques, met en lumière la complexité des identités mobiles et l’interaction entre domination structurelle et résistances quotidiennes. Sociologie du racisme s’impose ainsi comme une référence essentielle pour comprendre comment le racisme devient un enjeu systémique — à la fois social, politique et moral.
Black Boy (Richard Wright)
Publié en 1945, Black Boy est l’autobiographie choc de Richard Wright, né en 1908 dans le Sud ségrégationniste des États‑Unis. À travers deux volets – la jeunesse dans le Mississippi et l’Arkansas (« Southern Night ») et la quête de liberté à Chicago « The Horror and the Glory » – l’auteur expose sans fard ses souffrances, sa faim, son immersion précoce dans la lecture, et surtout son refus obstiné de la soumission face au racisme ordinaire.
Son écriture ? Sobre, acérée, incarnée. Wright donne à ressentir physiquement la terreur du racisme, sans jamais verser dans le misérabilisme. Le jeune narrateur grandit dans la faim, la violence familiale et la bigoterie religieuse. Mais c’est dans la lecture et l’écriture qu’il trouve sa voie, forgeant une conscience politique et littéraire unique.
Black Boy est aujourd’hui considéré comme une œuvre fondatrice de la littérature afro‑américaine, ouvrant la voie à des voix comme Baldwin ou Ellison. Un texte impératif, beau et brutal, sur la condition noire, la liberté intérieure et l’écriture comme arme.