Gwladys Ravon : des mathématiques à la santé numérique

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Mis à jour le 08/09/2025

"Elles font le numérique" est une série qui met en lumière les parcours et les réalisations de femmes scientifiques dont les recherches en sciences du numérique façonnent notre avenir. Pour ce cinquième numéro nous avons échangé avec Gwladys Ravon, ingénieure de recherche au Service Expérimentation et Développement du Centre Inria de l'université de Bordeaux

Histoire et parcours

Peux-tu nous retracer ton parcours ?

Après un baccalauréat scientifique spécialité maths, j’ai suivi une licence de mathématiques à Nantes, puis une année de préparation pour le CAPES (certificat d’aptitudes au professorat de l’enseignement du second degrés). Ensuite, je suis venue à Bordeaux pour faire un master de mathématiques appliquées à la biologie médicale. Après ce master, j’ai débuté ma thèse en trois ans au sein de l’équipe-projet Carmen du Centre Inria de l’université de Bordeaux puis enchaîné avec un postdoc à l’IHU Liryc à Pessac, en électrophysiologie cardiaque. Puis j’ai finalisé mon parcours avec un autre postdoc en tant qu’ingénieure dans l’équipe Memphis.

Après ces expériences j’ai travaillé pendant six mois en tant que data scientist en électrophysiologie végétale, dans une entreprise privée nommée Vegetal Signals. La mission de cette startup est de mettre au point et développer des solutions de monitoring dans les vignes, grâce au machine learning, afin de pouvoir suivre le stress hydrique, les maladies et la maturation. 

Enfin, j’ai passé le concours pour devenir ingénieure de recherche au SED (service expérimentation et développement) et lorsqu’un poste s’est ouvert, j’ai pu rejoindre Inria en février 2023, toujours à Bordeaux.

Rejoindre le monde de la recherche a toujours été une évidence au cours de ton parcours ? 

Pendant de nombreuses années, j’ai envisagé de devenir professeure de mathématiques au collège ou au lycée. En dernière année de licence, j’ai réalisé que mon intérêt portait davantage sur la pratique des mathématiques elles-mêmes que sur l’enseignement à proprement parler. C’est une réflexion qui a pris du temps et m’a conduite à préparer le CAPES, tout en restant ouverte à d’autres voies professionnelles.

Comme je voulais donner une application concrète aux mathématiques et que j’ai toujours été intéressée par la biologie et la santé, j’ai choisi de m’orienter vers un master qui me permettrait d’étudier ces deux domaines de façon conjointe.
Mon arrivée dans le monde de la recherche s’est faite grâce à des opportunités et j’ai rapidement découvert un environnement stimulant et trouvé une grande liberté intellectuelle. Pour autant, mon souhait n’était pas de faire de la recherche académique, je ne voulais pas être maîtresse de conférences ni chargée de recherche. 

Est-ce que la recherche est pour toi une passion ? Qu’est ce qui te stimule dans cette démarche scientifique ?

Je ne sais pas si passion c’est le bon mot, mais j’adore ce que je fais, ça me plaît c’est sûr. J’aime particulièrement la dimension intellectuelle de mon travail, ainsi que le fait d’apprendre toujours quelque chose et d’avoir régulièrement de nouveaux problèmes à résoudre. C’est très stimulant.

Recherche et ambition

Peux-tu me parler plus précisément de ton poste et de tes travaux ?

Je suis ingénieure de recherche au service expérimentation et développement du Centre Inria de l’université de Bordeaux et je suis immergée dans l’équipe-projet Carmen, qui fait de l’électrophysiologie cardiaque. 
Je fais des mathématiques appliquées pour aider Carmen dans le développement de leur pile logicielle (l’ensemble de leurs codes en langage Python), soit en les conseillant sur les bonnes pratiques soit en y participant pleinement, comme par exemple en transformant un code déjà existant pour le rendre plus performant, plus robuste et plus facilement utilisable et exploitable à la fois par les membres de l’équipe, et pour l’enseignement et la médiation. 

Est-ce que c’était une suite logique pour toi d’intégrer un centre de recherche tel qu’Inria ? Était-ce un souhait de ta part, ou est-ce une opportunité qui s’est offerte à toi ? 

C’était entièrement mon choix d’intégrer Inria. Après ma thèse je savais que je ne voulais être ni professeure ni chargée de recherche, mais j’étais très intéressée et motivée par le côté ingénierie dans la recherche au sein du service public, c’était exactement ce que je souhaitais et l’institut propose de réelles expertises dans ce domaine. L’ouverture du post a été une belle opportunité, que j’ai su saisir. 

De quoi es-tu la plus fière dans ton travail ? 

Je suis fière de la continuité au sein de l’équipe-projet Carmen. J’ai commencé ma thèse en 2012 et soutenu en 2015 et je constate qu’il y a toujours un lien très fort entre les différentes générations : ça me plaît beaucoup. Quand de nouveaux arrivants rejoignent l’équipe ils connaissent les anciens membres et ils se sentent bien, c’est quelque chose de très important pour moi. 

As-tu eu une inspiration pour te lancer dans ce parcours scientifique ?  Une figure motivante, un élément déclencheur ? 

J’ai toujours adoré les mathématiques, la biologie et la physique donc c’était logique que je commence un parcours scientifique au lycée. Je n’ai pas eu de figure motivante ou inspirante.

Quelles sont tes aspirations ou ambitions pour la suite ? 

Je souhaite poursuivre mon parcours chez Inria et développer des liens avec d’autres équipes-projets qui font de la simulation dans le domaine de la santé. Je pense notamment à l’équipe Monc, spécialisée en oncologie, ou encore à la future équipe NeuroDTX, dont les travaux, en lien avec le Vascular Brain Health Institute (VBHI), sont davantage orientés vers la neurologie. De manière générale, je pourrais rejoindre tout projet intéressant d’un point de vue thématique ou ingénierie.

Parité et inclusion

Tu évolues dans le monde de la recherche, un milieu très masculin. As-tu ressenti des difficultés à te faire une place ?

Je n’ai jamais senti qu’on me mettait à l’écart parce que j’étais une femme. 
J’ai déjà pu constater des propos un peu paternalistes envers d’autres femmes, mais j’ai eu la chance de ne pas être concernée. 

Quelle est ta vision de la représentativité des femmes dans ce milieu ? As-tu des ambitions à ce sujet ?

La situation s’améliore pour ce qui concerne la présence des femmes parmi les directrices de recherche et les maîtresses de conférences. Il y a de plus en plus de femmes à ces postes et c’est très bien, mais des efforts restent à faire. 
En revanche, la représentativité féminine parmi les ingénieurs et ingénieures me semble très insuffisante. Par exemple, au sein du service dans lequel je me trouve, nous sommes 25, dont seulement 5 femmes. Ce déséquilibre est malheureusement loin d’être propre au centre Inria de l’université de Bordeaux. Lors de regroupements inter-équipes des Services Expérimentation et Développement (SED) en santé numérique, la proportion de femmes reste encore faible : nous ne sommes que 3 ou 4...

L’an dernier, j’ai participé au speed meeting organisé dans le cadre de la semaine MIMM (Moi informaticienne, moi mathématicienne), destiné à faire découvrir aux collégiennes et lycéennes la diversité des parcours menant aux métiers scientifiques. À travers ce type d’initiative, il s’agit de montrer que ces métiers sont entièrement accessibles et que les femmes y ont totalement leur place Le but est de leur faire prendre conscience qu’il y a différents chemins pour travailler dans le monde scientifique, et qu’il y a des professions et des carrières très variées. J’espère que ces actions ont un réel impact sur leur orientation.

Néanmoins, il me semble que ces efforts doivent aussi être portés au niveau politique. Depuis la réforme du lycée en 2020, le nombre de jeunes femmes s’orientant vers un enseignement en mathématiques a drastiquement diminué alors que l’objectif était inverse ! On peut encourager les élèves et les étudiantes autant que l’on souhaite, si les politiques ne sont pas suivies de faits concrets c’est certain que nos actions risquent de ne pas avoir de réel effet.

D’après toi, qu’est-ce qui pourrait être mis en œuvre pour réduire l’écart femmes/hommes dans le domaine de la recherche ? 

Il me semble très important de commencer tôt, dès le collège puis au lycée à encourager les vocations afin d’éviter que les jeunes filles ne s’éloignent des matières scientifiques. Sans les forcer, il faut les encourager à s’orienter dans des filières scientifiques.
Au niveau institutionnel, on ne peut pas valoriser les candidatures féminines si elles n’existent pas. C’est pourquoi il faut absolument renforcer l’attractivité de ces métiers auprès des femmes.
Pour ça la parité dans la composition des jurys de recrutement joue également un rôle important. Rendre visibles les femmes déjà présentes dans ce milieu peut aider les candidates à se projeter.

Verbatim

La situation s’améliore pour ce qui concerne la présence des femmes parmi les directrices de recherche et les maîtresses de conférences. Il y a de plus en plus de femmes à ces postes et c’est très bien, mais des efforts restent à faire. 

En dehors de la recherche

Est-ce qu’en dehors de la recherche tu as un passe-temps, une passion ? 

Je lis beaucoup, que ce soit des romans policiers, de la science-fiction (que je regarde aussi beaucoup au cinéma) ainsi que des bandes dessinées. J’aime aussi beaucoup suivre le sport, notamment le foot et plus particulièrement le FC Nantes. 

Est-ce que tu as réussi à établir un équilibre entre ta vie personnelle et professionnelle ? 

Je laisse toujours mon ordinateur de travail à l'institut, je ne l’amène jamais chez moi. Ainsi, quand je ne suis pas au travail je n’ai accès ni à mes mails, ni à la messagerie instantanée. C’est donc très facile de faire une vraie coupure. Mais je ne peux pas, évidemment, empêcher mon cerveau de penser un peu au travail sur mon temps libre, c’est normal.

Est-ce que tu as un mantra ? 

Il y a une citation de Albert Einstein que j’aime beaucoup sur la théorie et la pratique. « La théorie, c'est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c'est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. Ici, nous avons réuni théorie et pratique : rien ne fonctionne... et personne ne sait pourquoi ». Cette citation illustre un passage presque inévitable dans mon travail de développement. 

Pour terminer, est-ce qu’il y a un conseil que tu voudrais partager avec les prochaines générations, notamment avec les lycéennes ou étudiantes en plein questionnement d’orientation scolaire ?

J’aimerais leur dire de ne pas s’inquiéter quant à leurs choix d’options et d’orientation. À 15 ou 17 ans, ces décisions ne peuvent pas définir tout un parcours. Il existe de nombreuses passerelles et les trajectoires peuvent toujours évoluer au fil du temps.  Il faut aussi garder à l’esprit que de nombreux métiers d’avenir n’existent pas encore aujourd’hui, alors il faut rester ouverte et curieuse !
Enfin, je dirai qu’il ne faut pas avoir peur de changer d’avis, de prendre une autre voie et ne jamais considérer ça comme un échec.

Verbatim

Il faut aussi garder à l’esprit que de nombreux métiers d’avenir n’existent pas encore aujourd’hui, alors il faut rester ouverte et curieuse !

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Inria