Plongée au coeur des communautés microbiennes avec Clémence Frioux

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Mis à jour le 02/10/2025

"Elles font le numérique" est une série qui met en lumière les parcours et les réalisations de femmes scientifiques dont les recherches en sciences du numérique façonnent notre avenir. Pour ce sixième numéro nous avons échangé avec Clémence Frioux, chargée de recherche au sein de l'équipe-projet Pleiade du Centre Inria de l'université de Bordeaux.

Histoire et parcours

Peux-tu nous retracer ton parcours ? 

J’ai commencé mon parcours par des études de biologie, un DUT génie biologique à l’IUT de Quimper, avant d'opter pour un cursus ingénieur, toujours en génie biologique mais cette fois à Sophia Antipolis. C’est là que je me suis orientée vers la bio-informatique, c’est-à-dire l’utilisation d’approches numériques pour répondre à des problématiques en biologie. J’ai ensuite effectué mon stage de fin d’études au Centre Inria de l’université de Rennes et j’y suis restée pour un doctorat en informatique.

Rejoindre le monde de la recherche a toujours été une évidence au cours de ton parcours ? 

Plus jeune, j’ai envisagé beaucoup de métiers, dont une carrière dans la recherche, en biologie ou dans la santé. Mais au moment des choix d’orientation au lycée, j’ai beaucoup hésité et finalement opté pour un premier cursus court en attendant d’affiner mon projet professionnel. C’est au fil des années d’études, surtout à travers des stages, que l’idée de faire de la recherche s’est à nouveau progressivement imposée, mais cette fois dans un cadre plus informatique qu’expérimental. Elle a pleinement pris forme lorsque j’ai débuté ma thèse.

Sur quoi portait ta thèse ? 

J’ai soutenu ma thèse en 2018, elle portait sur des problèmes d’optimisation combinatoire appliqués à la complétion de réseaux métaboliques dans les communautés microbiennes. Plus concrètement, il s’agissait de développer des modèles, c’est-à-dire des représentations simplifiées mais informatives, du fonctionnement des micro-organismes. Je m’intéressais en particulier à leur métabolisme constitué de l’ensemble des réactions biochimiques qui peuvent se produire à l’intérieur des cellules. Cette thématique s’inscrit dans le champ de la biologie des systèmes, qui cherche à comprendre comment interagissent les différents éléments constitutifs du vivant : gènes, protéines, petites molécules… Pour cela, on s’appuie à la fois sur l’expérimentation et sur l’analyse de données massives, issues des technologies de séquençage ou d’autres approches à haut débit. Ces données sont ensuite intégrées dans des modèles afin de proposer des hypothèses sur le fonctionnement global du système. C’est précisément cette articulation entre données et modèles qui est au cœur de mon travail. 

Dans ce champ de recherche très interdisciplinaire, les applications des modèles sont très importantes, et les miennes ce sont les communautés microbiennes qui sont présentes dans tous les environnements. On parle aussi de microbiotes, dont l’organisation et le fonctionnement reposent sur des interactions entre les différentes populations qui les composent. Ces populations partagent un environnement commun, qu’elles modifient ou influencent notamment par les molécules qu’elles produisent. Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre comment une population microbienne peut contribuer au fonctionnement métabolique d’autres populations, au sein de cette dynamique collective.

Dans ma thèse, je m’intéressais à la reconstruction de modèles du métabolisme et j’ai montré que lorsque ces micro-organismes vivent en communauté, il est pertinent de raisonner à l’échelle collective : certaines fonctions métaboliques absentes dans une population sont susceptibles d'être assurées par une autre population au sein de la communauté. Cela ouvre la voie à une approche communautaire de la construction de ces modèles.

Dans ce cadre, j’ai développé des méthodes et des outils permettant d’identifier des complémentarités potentielles entre les réseaux métaboliques de différentes populations microbiennes et aussi de leur hôte. L’objectif est d’aider à naviguer plus facilement dans la complexité des interactions possibles, en proposant un ensemble restreint de fonctions susceptibles de résulter spécifiquement de complémentarités entre micro-organismes au sein d’une communauté.

Recherche et ambition

Peux-tu nous parler plus précisément des travaux de recherche de Pléiade et de ton poste actuel ? 

Pleiade est une équipe commune à Inria et à Inrae, l’organisme national de recherche dédié à l’agriculture, l’alimentation et l’environnement. À ce titre, l’équipe réunit des chercheurs et chercheuses issues des deux instituts, ce qui est précieux pour une structure résolument tournée vers l’interdisciplinarité.

Nos travaux portent sur la caractérisation de la diversité au sein des communautés microbiennes. Cette diversité se décline principalement en deux volets : la diversité taxonomique, qui s’intéresse aux espèces présentes dans un environnement donné, et la diversité fonctionnelle, qui cherche à comprendre le rôle des différentes populations microbiennes dans ces environnements. Pour cela, nous développons des méthodes permettant de simplifier les données pour les rendre plus interprétables, de prédire le fonctionnement global des communautés microbiennes naturelles, et de comprendre avec précision les mécanismes en œuvre dans des petites communautés contrôlées. 

Nous mobilisons différentes approches de modélisation, qu’elle soit mathématique ou informatique, visant à simplifier et à représenter la complexité du vivant. Pour ma part, je travaille toujours beaucoup sur la modélisation du métabolisme, même si avec les années je me suis tournée vers des questions de réduction de dimension ou du traitement des données brutes. Je suis encore et toujours intéressée par les applications, notamment le microbiote intestinal humain, mais aussi le microbiote du sol, ou encore des communautés bactériennes associées aux plantes.

Est-ce que c’était une suite logique pour toi d’intégrer un centre de recherche tel qu’Inria ? Était-ce un souhait de ta part, où est-ce que c’est une opportunité qui s’est offerte à toi ? 

Lorsque j’ai débuté ma thèse, je ne me projetais pas encore dans une carrière de chercheuse. Ce projet professionnel s’est dessiné progressivement, et c’est en fin de thèse que l’idée de devenir chargée de recherche et rejoindre un institut comme Inria est devenue véritablement attractive.

Quel impact aimerais-tu que ton équipe ait dans le milieu de la recherche ? 

Au sein de l’équipe nous souhaitons développer des méthodes et des outils pour traiter les données massives générées en biologie, susceptibles d’entraîner l’émergence de nouvelles hypothèses et la mise en place ou la facilitation de nouveaux plans expérimentaux. Nous voulons avoir un rôle d’aide à la décision, de générations d’hypothèses testables pour nos collègues biologistes. 

De quoi es-tu la plus fière dans ton travail ? 

Je suis fière d’avoir réussi à créer une dynamique autour de mes questions de recherche, avec des étudiants et étudiantes, des jeunes scientifiques qui ont accepté de travailler avec moi sur ces sujets. 

As-tu eu une inspiration pour te lancer dans ce parcours ?  Une figure motivante, un élément déclencheur, une situation particulière ? 

Comme j’ai un profil interdisciplinaire, je pense que le moment un peu charnière a été le basculement entre les études de biologie et les études de bio-informatique et plus tard d’informatique. Lorsque j’ai commencé à apprendre à programmer dans mon cursus d’ingénieure, j’ai réalisé que ça m’amusait et que ça m’ouvrait de nouvelles portes, que ce soit dans la biologie ou ailleurs. 

En septembre 2025, tu as passé ton habilitation à diriger des recherches. Qu’est ce qui t’a motivée à entamer cette démarche ? 

C’est une question que beaucoup de chercheurs et de chercheuses se posent : quand faut-il passer son HDR ?  (Habilitation à diriger des recherches), encore aujourd’hui je ne suis pas sûre de connaître la réponse. 
On entend parfois que lorsque que l’on commence à nous en parler c’est que c’est le bon moment. Il n’en demeure pas moins que c’est un pas difficile à franchir et j’ai l’impression que nous sommes nombreux et nombreuses à nous questionner, après quelques années de carrière, sur le moment idéal.

Une motivation majeure est bien sûr l’enjeu d’encadrement associé à l’HDR puisque c’est une validation qui permet de diriger en autonomie des étudiantes et étudiants en thèse.

Une autre raison est que je suis arrivée à un stade où j’avais une meilleure vision sur ce que j’ai fait depuis la thèse en termes de contributions scientifiques. Mon premier doctorant a soutenu l’an dernier, ma seconde doctorante va soutenir à la fin de l’année, je trouve que c’était un bel alignement de planètes pour me lancer.

Parité et inclusion

Tu évolues dans le monde de la recherche, plus précisément dans les domaines de la biologie et du numérique, et on ne peut pas dire que le monde du numérique soit très féminin. As-tu ressenti des difficultés à te faire une place ? 

Dans mon parcours, j’ai eu la chance de ne pas avoir rencontré de difficultés majeures, ce qui ne signifie pas pour autant que je n’ai pas vécu de situation de sexisme. Les femmes sont sous-représentées en sciences, et les équipes de recherche en informatique et mathématiques sont assurément plus impactées que celles en biologie. À l’échelle de nos équipes de recherche, l’interdisciplinarité est un facteur qui atténue dans une certaine mesure cette différence de proportion. 

Quelle est ta vision de la représentativité des femmes dans ces milieux ? 

On ne peut ignorer le faible nombre de femmes dans les milieux scientifiques. Cette réalité se manifeste tant dans la composition des équipes de recherche bien sûr, mais aussi encore dans la participation aux conférences, avec encore parfois des panels de personnes invitées qui ne comportent aucune femme, ou presque. Pour moi, il est fondamental d’inclure les femmes dans ces espaces, de les visibiliser pour qu’ensuite leur présence soit une évidence et que leur absence saute aux yeux. Une science véritablement utile à la société ne peut se construire sans la participation active de l’ensemble des groupes qui la composent, une exigence qui dépasse d’ailleurs les questions de genre.

Il est également important de souligner que les freins à la présence des femmes en sciences et ou dans la recherche ne relèvent pas uniquement du contexte professionnel. De nombreuses barrières sont d’ordre sociétal, et sur ces questions, les leviers d’action sont souvent plus complexes à mobiliser à notre échelle. Toutefois, c’est en agissant à la fois sur les dimensions institutionnelles et sociales que des avancées durables pourront être obtenues.

Quelles sont tes ambitions à ce sujet ?

J’espère pouvoir contribuer à mon échelle à travers différents engagements. Je suis membre du comité Parité et Égalité des chances d’Inria. Ce comité, composé d’une vingtaine de membres, œuvre sur une large palette de thématiques : lutte contre les violences sexistes et sexuelles et les harcèlements, recommandations en matière de communication et recrutement plus égalitaire, inclusions des personnes LGBTQIA+, parentalité et équilibre de vie ou encore amélioration des conditions de vie dans les centres pour toutes et tous... Sur tous ces points le comité fait des propositions et les soumet à la direction de l’institut. 

Je suis aussi membre d’un groupe de travail local sur la parité et l’égalité au Centre Inria de l’université de Bordeaux. L’ambition de ce groupe diffère de celle du comité national : il se veut en être un relais, en être complémentaire. En local, nous souhaitons rendre visibles ces thématiques dans le quotidien des agentes et agents en mettant en place diverses actions mais aussi interagir avec les autres acteurs et actrices de l’université dans un esprit de synergie.

Enfin je souhaite mentionner les actions de médiation scientifique dans lesquelles la promotion de la parité est d’une grande importance. On ne peut pas demander à des jeunes femmes de se projeter sur des parcours professionnels dans lesquels elles ne voient personne qui leur ressemble. La représentation est un levier essentiel pour susciter l’adhésion et favoriser des vocations. Parler de mon métier dans les collèges, les lycées, lors des fêtes de la science ou lors d’évènements dédiés aux jeunes femmes à l’université est donc important pour moi, même si ce n’est pas toujours facile à concilier avec le reste de mes activités.

D’après toi, qu’est ce qui pourrait être mis en œuvre pour réduire l’écart femmes/hommes dans le domaine de la recherche ? 

Les biais de genre et les stéréotypes s’ancrent très rapidement, dès l’enfance. Il y a donc un double enjeu de compenser ces biais quand ils sont en place, par exemple à travers la médiation scientifique, mais aussi de limiter leur installation chez les nouvelles générations, ce qui passe par l’éducation au sens large. À l’échelle de nos laboratoires, de nos instituts, ou plus généralement de la recherche, il reste aussi encore du travail pour former les personnes, libérer la parole et assurer un climat de travail qui conviennent à tous et toutes. 
Collectivement nous avons un certain nombre de leviers pour favoriser la présence des femmes, améliorer leur quotidien sur le lieu de travail et, surtout, de créer les conditions pour qu’elles aient envie de rester. Ce travail collectif est essentiel, car les défis sont nombreux.

Au cours de ta carrière, tu as été amenée à voyager (Royaume-Uni, Chili…) as-tu constaté des différences culturelles concernant les questions de parité dans le milieu scientifique ? 

Je ne pense pas avoir passé suffisamment de temps dans ces pays pour m’en rendre pleinement compte. Je pense cependant que dans n’importe quel laboratoire, quel que soit le pays, on voit des changements qui reflètent les changements à l’œuvre dans la société. Il y a aujourd’hui davantage de prévention des harcèlements et des violences sexistes et sexuelles, et pas uniquement en France.  C’est tout un mouvement de fond qui s’est mis en marche. Une fois qu’on admet que les problèmes sont systémiques et que nos laboratoires n’en sont pas exempts, on peut s’atteler à les résoudre si on s’en donne les moyens.

Verbatim

Les biais de genre et les stéréotypes s’ancrent très rapidement, dès l’enfance. Il y a donc un double enjeu de compenser ces biais quand ils sont en place, par exemple à travers la médiation scientifique, mais aussi de limiter leur installation chez les nouvelles générations, ce qui passe par l’éducation au sens large.

En dehors de la recherche

Tu as participé, en juillet dernier, à Jobim. Peux-tu nous parler de cette expérience ?

JOBIM est la conférence annuelle de la communauté française et francophone en bio-informatique, modélisation et mathématiques pour la biologie. Organisée depuis 25 ans, elle se tient chaque année dans une ville différente en France, cette année, c’est Bordeaux qui l’a accueillie. JOBIM est un événement reconnu et fédérateur dans notre milieu, avec une forte participation chaque année. Cette conférence accorde également une place importante à la jeune génération de chercheurs et chercheuses, en proposant notamment des sessions posters, la possibilité de soumettre des articles courts et de faire des présentations.

Cette année, comme tous les ans, il y a eu une grande affluence, nous étions 500 sur place et une centaine en distanciel. Je co-présidais le comité d’organisation aux côtés de Simon Labarthe (INRAE) et Romain Bourqui (Université de Bordeaux). Nous étions plus d’une trentaine dans ce comité et le centre Inria assurait la gestion administrative de la conférence.
C’est la première fois que j’organisais un événement d’une telle ampleur, et même si ça a représenté une charge de travail importante, ça a été une expérience très enrichissante. J’ai beaucoup appris, notamment en collaborant avec les différents services (juridiques, administratifs, financiers) impliqués dans l’organisation.    

Pour terminer, est-ce qu’il y a un conseil que tu aurais aimé recevoir au début de ta carrière, ou un que tu as reçu et que tu voudrais partager avec les prochaines générations, notamment avec les lycéennes ou étudiantes en plein questionnements d’orientation scolaire ?

C’est normal de ne pas avoir une vision précise de son avenir professionnel quand on est lycéen ou lycéenne, ou même plus tard. L’incertitude à cette étape de la vie ne doit pas être source d’i

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