Fondatrice de l’association Résilience Montagne, Valérie Paumier œuvre pour la transition écologique et sociale des milieux montagnards. Entretien.
Imaginez un lac aux couleurs variant du bleu clair au turquoise, des montagnes s’élevant à plus de 2000m d’altitude et dont les courbes terminent dans cette même étendue d’eau. L’été, ce décor est propice à la baignade et aux loisirs multiples. L’hiver, c’est un épais manteau blanc qui vient recouvrir ces paysages. C’est dans ce cadre idyllique que Valérie Paumier a grandi, au cœur de la désormais très touristique ville d’Annecy. Issue d’une famille où l’écologie ne faisait pas partie des sujets de discussion lors des repas dominicaux, l’annécienne pure souche à la scolarité exemplaire fera des études au sein d’une école de commerce avant de partir travailler à l’étranger, puis dans le secteur de la finance… Une première partie de vie plutôt à l’opposé des combats que Valérie Paumier mène désormais par le biais de son association Résilience Montagne.
Ecolosport : Valérie Paumier, pouvez-vous nous expliquer votre cheminement jusqu’au militantisme ?
Valérie Paumier : À l’issue de mes études, je suis partie travailler à Libreville (Gabon) dans le secteur de la diplomatie, avant de rentrer à Annecy où je rencontrerais l’homme qui allait devenir mon mari. Ensemble, nous nous envolerons pour Hong-Kong. Sur le continent asiatique, j’ai notamment collaboré avec le Consulat de France pour développer la promotion de la destination France et plus précisément les Alpes. On parle de tourisme de masse et autant dire qu’à ce moment-là, ça ne me pose aucun problème. De retour dans l’Hexagone, je m’oriente vers le secteur de la finance et travaille à Genève (Suisse). Progressivement, j’ai commencé à avoir une petite prise de conscience et que quelque chose clochait, qu’il y avait un côté malsain lié au système économique.
Nous sommes alors en 2016, en plein scandale des Panama Papers. Malgré tout, je gagnais bien ma vie et, dans cette situation, on se trouve toujours de bonnes excuses pour fermer les yeux. Arrive le jour où j’entends un discours de Jean-Marc Jancovici durant lequel il explique que sans un changement systémique de notre société et de l’économie, nous nous dirigeons à grands pas vers un effondrement massif. Le modèle de la finance est principalement pointé du doigt par le fondateur du Shift Project. Je prends alors une véritable claque et commence à m’intéresser à différents sujets en rapport avec l’environnement. Ce constat glaçant m’amène à quitter mon emploi et je profite de la période Covid pour enrichir mes connaissances. En tant qu’amoureuse du milieu montagnard, j’apprends notamment que ces écosystèmes sont parmi les plus impactés par le dérèglement climatique.
Justement, quel est votre rapport avec la montagne ?
Je skie depuis toute petite, une passion transmise par mon père. Je garde de formidables souvenirs de sommets enneigés, de pentes dévalées en famille ou entre ami(e)s. À l’époque, je suis tellement accro à cet pratique que je passe mes diplômes pour devenir monitrice. Aussi, hors saison hivernale, la randonnée était un loisir quasi hebdomadaire. Bien que m’étant également passionné pour le tennis, les activités de pleine nature et ce rapport à la montagne prennent clairement le dessus. Je me souviens également des premiers canons à neige. À l’époque, je trouvais cette innovation incroyable. Puis arrive le jour où je retrouve une photo de mes grands parents datant d’août 1936. Elle avait été prise au lac blanc, au-dessus de Chamonix, avec la mer de glace en arrière fond. Je décide alors de me rendre au même endroit. Nous sommes alors en 2017. Arrivée sur place, le constat est terrifiant. La coulée de glace blanche a laissé place à des séracs et la moraine grisâtre. Je prends alors conscience de la rapidité à laquelle le glacier a reculé, c’est clairement l’un de nos principaux réservoirs d’eau douce qui s’effondre sous nos yeux. Des souvenirs de jeunesse me reviennent, avec des hivers longuement enneigés à Annecy (448m) et sur les montagnes voisines. Aujourd’hui, on peut à peine skier un mois au Semnoz, station de moyenne montagne à proximité de la Préfecture de la Haute-Savoie. Ce qui m’effraie, c’est que le changement drastique s’est fait en une cinquantaine d’années. Je vois par exemple le lac manquer d’eau en été alors que mon père me contait des scènes de patins à glace au même endroit lorsqu’il était jeune.
En tant que passionnée de ski, voyez-vous un avenir à cette pratique ?
C’est triste à dire mais nous vivons la fin du ski, il ne faut pas se leurrer. Pour ma part, je ne fais plus le ski de piste par conviction car je ne veux pas financer un système contre lequel je lutte. Et finalement, c’est comme l’avion : je ne le prends plus et ça ne me manque pas. Je ne le vis pas comme une autopunition.
Désormais, je pratique le ski de randonnée ou les raquettes et c’est génial. Ceci dit, je pense qu’on ne peut pas blâmer les pratiquants, du moins ceux qui ne sont pas informés. Il faut plutôt s’en prendre aux politiques publiques, aux gestionnaires des stations qui investissent dans ce système à contre-courant et qui créent l’offre. Par contre, il est important pour les clients de ces stations qu’ils s’y rendent en ayant conscience de leurs impacts et qu’on ne fera pas machine arrière. Mais la fin du ski n’est pas grand-chose à côté des conséquences du dérèglement climatique sur les écosystèmes, la biodiversité, les forêts, l’agriculture, le pergélisol qui fond même au sommet du Mont-Blanc en été… C’est dramatique !
Mais quid de la responsabilité des pratiquants qui, à votre image, pourraient aussi tourner le dos au ski de piste ?
Je suis d’accord, mais il faudrait encore qu’ils soient informés pour devenir de véritables consomacteurs ! Les lobbies du ski font tout pour minimiser les impacts. Pour les personnes qui viennent de loin, il est plus compliqué de changer car les campagnes de communication des stations de ski ne montreront jamais la réalité. Si les médias de masse ne relaient pas l’information, comment le grand public, et notamment celles et ceux qui n’habitent pas à proximité des montagnes, peuvent le savoir ? Certes, la question de la fonte des glaciers est abordée mais il y a souvent un non-dit sur les conséquences graves qui en découlent, comme le manque d’eau par exemple.
Nous sommes début novembre, c’est le début des campagnes de promotion pour booster les réservations pour les vacances de Noël et d’hiver. Par le biais de cette communication, on fait croire aux gens qu’il y a de la neige en abondance, on invente des faux-imaginaires pour vendre du forfait, des nuits d’hôtel… Très franchement, c’est à la limite de la publicité mensongère et cela mériterait d’être saisi par l’ARCOM. Imaginons maintenant que les stations aient pour obligation de montrer uniquement des images en temps réel… On serait bien loin de la carte postale vendue avec des pistes immaculées de blanc. Si vous habitez à Londres et que vous taper « ski dans les Alpes » sur votre moteur de recherche, vous ne trouverez que des photos incroyables et bien loin de la réalité. Dès les premiers flocons, les stations vont communiquer en masse et faire croire par l’intermédiaire des médias que tout le monde va au ski.
C’est donc face à ce constat que vous avez créé Résilience Montagne. Pouvez-vous nous expliquer la genèse de ce projet ?
C’est en parlant avec un journaliste du Monde qui me demandait au nom de quelle structure je prenais la parole que j’ai décidé de créer l’association d’intérêt public Résilience Montagne, en 2020. Le but: partir du local pour comprendre le global. Au début, j’ai commencé sur LinkedIn car je voyais des lobbyistes pro-business communiquer de façon mensongères sur leurs expertises et leurs actions en faveur de la transition de la montagne. On parle autant de structures associatives, d’entreprises du privé ou encore des services d’Etat ! Au fur et à mesure, je me suis rendu compte qu’il existait plusieurs associations œuvrant de façon concrète pour changer le modèle des stations de montagne. Arrive alors l’affaire de la retenue d’eau de La Clusaz sur le plateau de Beauregard. Je rencontre différents collectifs militant contre ce projet et leur apporte ma connaissance du monde économique et de la finance. La mayonnaise prend vite et nous créons « Sauvons Beauregard » pour défendre ce lieu et, par la même occasion, montrer que ce n’est pas un cas isolé par le biais d’un plan média national.
Quelles sont les actions de l’association ?
L’une des premières activités de Résilience Montagne est de vulgariser les causes et conséquences du dérèglement climatique en montagne mais aussi dans les vallées. J’aide également des associations à se structurer dans leurs oppositions contre des projets écocidaires, à l’image de celui de Tony Parker à Villars-de-Lans (vaste projet immobilier et touristique rejeté par arrêté préfectoral, ndlr) ou encore des citoyens à monter des programmes de démocratie participative. J’ai l’avantage d’avoir le même langage que les lobbyistes et hommes d’affaires. J’ai déjà participé à un certain nombre de recours juridique dont un à l’encontre des Jeux Olympiques et Paralympiques 2030.
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Ces actions en justices en montagne sont très importantes car en cas de victoire, cela découle sur des jurisprudences pour des enjeux similaires à l’image de la bassine de Beauregard qui a été interdite par la justice. Désormais, je donne aussi des conférences dans de grandes écoles auprès d’étudiant(e)s mais aussi d’alumnis, ce qui permet de leur apporter des connaissances qui ne leur avaient pas été enseignées au moment de leurs études. Aujourd’hui, je fais beaucoup de politique et de lobbying auprès d’instances nationales, avec une posture apartisane. Pour ajouter une corde à mon arc, j’ai récemment suivi une formation à l’académie des futurs leaders. Elle permet de s’outiller dans la construction de projets civils engagés et à impact, le tout avec une vision très progressiste. En échangeant avec les autres stagiaires, chacun œuvrant dans des domaines variés (insertion, migration, lutte contre les racismes, handicap…), je me suis encore plus rendu compte que toutes ces causes sont intimement liées. Il est donc très important que les associations œuvrant dans la transition de notre société prennent conscience qu’elles font de la politique. En vue des futurs élections municipales, nous avons notre rôle à jouer en travaillant avec les listes citoyennes.
Combien de personnes dénombre t-on au sein de Résilience Montagne ?
Pour le moment, nous sommes 2 personnes au bureau et nous comptons environ 400 membres qui adhèrent via une participation symbolique. Parmi eux, il y en a un certain nombre qui veulent témoigner sous couvert d’anonymat car elles sont menacées, parfois de mort, pour leurs oppositions à des projets. Nous recevons donc une grande quantité d’informations et assurons un rôle de relais ou de porte-parole. Le plus important est de retenir que la mobilisation citoyenne fonctionne. On ne doit pas se priver et s’il faut autant d’associations que de sujets écocidaires, ne nous privons pas.
Parlons des Jeux Olympiques et Paralympiques 2030, quelle est votre position ?
Je suis totalement contre, c’est une hérésie. On est dans le déni, qu’il soit démocratique, environnemental ou encore sociétal. Nous travaillons en étroite collaboration avec des personnalités comme l’enseignant-chercheur Eric Adamkiewicz ou encore le journaliste Guillaume Desmurs pour mettre en lumière la sombre réalité du dossiers Alpes 2030 ! Qu’ils soient dans le secteur public ou privé, nous avons beaucoup d’indicateurs qui nous remontent un tas d’informations importantes.
Aujourd’hui, on connaît les principaux postes émetteurs de CO2 en montagne (passoires thermiques et mobilité). Il ne faut pas se leurrer, nous n’aurons jamais de train en montagne donc la mobilité décarbonée est une chimère. Dans l’état actuel et à partir du moment où nous ne sommes pas en mesure d’amener proprement des milliers de personnes dans ces territoires, il faut tout simplement renoncer pour ne pas amplifier une crise déjà très grave. Nous devrions plutôt nous concentrer sur les solutions pour développer l’autonomie de ces villages, parfois très isolés, et les rendre moins dépendant d’un tourisme qui est lui-même étroitement lié à l’industrie du ski au lieu d’empirer la situation en faisant croire, par l’intermédiaire des Jeux 2030, qu’il y a de la neige dans les Alpes et qu’il n’y a pas de problème. On développe de faux-imaginaires alors que ces grands événements n’ont plus lieu d’être en l’état.
Une loi olympique va être votée. Elle permettra de construire tous types d’infrastructures (bâtiments, routes…) sans se soucier du droit social et environnemental. Et il faut se dire qu’ils n’ont que trois ans pour construire ces Jeux, donc autant vous dire qu’ils vont tout dégommer. Si on se penche sur la question budgétaire, là aussi, c’est scandaleux. On sait que le déficit public est abyssal et, dans le même temps, le COJOP a validé un budget prévisionnel de 2,1 milliards dont 25 % de cette somme seront pris en charge par l’État et les collectivités. Actuellement, l’Inspection générale des finances alerte déjà sur un déficit de 262 millions d’euros qui sera couvert par de l’argent public et viendra s’ajouter au 462 millions d’euros de contribution publique. Il y aura donc des dettes colossales qui seront payées par l’ensemble des foyers fiscaux alors qu’à peine 10 % des français skient. On préfère donc dépenser de l’argent pour ce type d’événements alors que dans le même temps, le gouvernement va raboter les dépenses pour l’hôpital public, l’éducation ou encore le milieu associatif, ce n’est tellement pas éthique. Aujourd’hui, on devrait parler habitabilité du territoire plutôt que d’attractivité.
Pensez-vous que l’on peut encore faire machine arrière ?
Personnellement, je me dis que seul un éboulement majeur viendra annuler ces Jeux, du moins partiellement. La montagne s’effondre littéralement. On peut le voir à travers les récents accidents qui se sont produits à Chamonix, Aigueblanche ou encore à Blatten en Suisse en 2025. Ces grands événements doivent être totalement repensés dans un contexte de crise climatique… et encore, le mot crise n’est pas bon car la situation va s’empirer.
Voyez-vous, tout de même, des points positifs autour des JOP 2030 ?
J’en vois un seul. C’est la première fois en France qu’il y a un tel mouvement anti-JOP. Des associations se sont créées spécialement pour contrer ce projet et finalement, on va pouvoir se servir de cet événement pour parler des problématique de montagne. C’est un exemple de ce qu’il ne faut plus faire. Les enjeux de montagne sont devenus des enjeux nationaux. La presse est d’ailleurs assez mûre sur ces sujets, car elle a dépassé le fait qu’il n’y a plus de neige. Elle parle désormais des problèmes liés à l’eau, à l’effondrement de la biodiversité, des forêts malades, du modèle économique qui n’est plus tangible. Idéalement, il faudrait désormais que la presse internationale accroche et parle de ces problématiques au sens large. En somme, il faudrait le référendum que l’État n’a pas voulu faire.
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