Nos experts vous présentent leur analyse complète de toute l’actualité sur les marchés de l’énergie à la date de clôture du 28 novembre 2025.
Marché de l'électricité
Électricité : un calme électrique qui sonne comme un faux-semblant
Cette semaine, le marché électrique français donne l’impression d’un paquebot parfaitement stable, glissant sur une mer d’huile. Les prix évoluent tranquillement autour de 55 à 65 €/MWh, soutenus par une météo exceptionnellement douce et un parc nucléaire qui, pour une fois, tient son rang sans mauvaise surprise. Mais derrière cette sérénité presque trompeuse, les fondations restent fragiles. Car ce confort repose avant tout sur un alignement de planètes météorologiques : des températures largement au-dessus des normales de saison et un appel de puissance artificiellement comprimé.
Le maintien d’un nucléaire robuste change beaucoup de choses, mais il n’élimine pas les cicatrices du passé. L’hiver 2022-2023 a rappelé à quel point un seul problème de corrosion pouvait changer la trajectoire d’un continent entier. Et si cette année l’atmosphère respire, personne n’oublie que le parc n’est jamais totalement à l’abri. S’ajoute un autre facteur, plus structurel : l’expiration de l’ARENH fin 2025, qui ouvrira une nouvelle ère de prix, de concurrence et d’incertitudes dans l’approvisionnement des fournisseurs alternatifs.
À la une
Nucléaire Français : Fin de l’Arenh, début de l’exposition totale
Au 1ᵉʳ janvier, la page Arenh se tourne et les consommateurs français sortent de leur “bulle” de protection. Désormais, EDF vendra son nucléaire au marché de gros, et ce sont les ménages comme les industriels qui encaisseront directement les variations de prix, assumées comme un choix politique.
Des seuils fiscaux qui laissent filer la volatilité
Au-delà de seuils estimés autour de 65–85 €/MWh puis 95–115 €/MWh, l’État captera 50 % puis 90 % des revenus supplémentaires d’EDF.
Mais entre zéro et le deuxième seuil, les prix pourront varier fortement pour tous les consommateurs, dans un marché où l’électricité se balade déjà entre niveaux négatifs et plus de 100 €/MWh aux heures de pointe.
Industries sous pression, régulateur sous tension
Pour les grands consommateurs, cette volatilité complique radicalement la gestion des coûts et des couvertures.
Le régulateur lui-même reconnaît que le pilotage du système devient plus complexe.
Un avantage prix face à l’Europe, mais fragile
Pour l’heure, la France garde un atout : une offre très confortable, des exportations massives et des prix de base (Cal 26–28) bien inférieurs à ceux de l’Allemagne.
Mais la liquidité reste concentrée sur trois ans, laissant la visibilité plus lointaine encore trop limitée.
L’essentiel à retenir ailleurs en Europe, par notre expert
Espagne : la sortie du nucléaire au pied du mur
L’Espagne affiche officiellement une sortie totale du nucléaire d’ici 2035, tout en accélérant massivement sur l’éolien, le solaire et le stockage. Mais la flambée attendue de la demande électrique, les tensions sur le réseau et le rôle stabilisateur des centrales relancent le débat.
CAPN d’EDF : des contrats trop en avance sur le marché
Les nouveaux contrats long terme d’EDF (CAPN) peinent à séduire : proposés autour de 55–60 €/MWh quand le marché traite plutôt 50–55 €/MWh, avec un ticket d’entrée élevé et peu de flexibilité volumes, ils paraissent décalés. À part quelques data centers très capitalisés, la plupart des acheteurs hésitent à payer une prime alors que le marché offre déjà une bonne visibilité à quelques années.
Italie et le Sud de l’Europe piégés par le manque de câbles
Avec des prix proches de 116 €/MWh, parfois dix fois ceux de la France, l’Italie illustre le coût d’une Europe mal interconnectée. Le Sud et l’Est restent structurellement courts et dépendants du gaz, alors que le Nord regorge d’électricité bon marché. Doubler les capacités d’interconnexion d’ici 2040 devient clé pour lisser les écarts, réduire le recours aux centrales thermiques et mieux valoriser les renouvelables au niveau européen.
– Helder FARIA RUBIO,
Responsable Intelligence Economique chez Capitole Energie
Marché du gaz
Gaz : Sous les 30 €, mais loin d’être tranquille
Le marché gazier européen offre, lui aussi, une image apaisée : un PEG sous les 28 €/MWh comme si l’hiver avait décidé de rester en arrière-plan. La météo trop douce joue les anesthésiants, les flux norvégiens coulent avec une régularité quasi métronomique, le GNL abonde et les terminaux tournent sans tension. À première vue, tout va bien. Mais c’est justement ce « tout va bien » qui inquiète les traders les plus aguerris.
Car la détente actuelle masque une réalité autrement plus précaire. Les stocks européens plafonnent à 77–78 %, soit dix points sous le niveau de l’an dernier. En Allemagne, on commence déjà à évoquer un scénario de fin de saison “très bas” en cas d’hiver seulement modérément froid. La moindre vague de froid en février ou mars — ce fameux piège de fin d’hiver — pourrait faire exploser l’équilibre apparent. Et dans cette équation, le GNL reste le grand funambule : indispensable, mais exposé à la géopolitique, aux tensions en Asie, et aux arbitrages de flotte qui peuvent basculer en quelques jours.
À la une
Gaz russe : le dilemme caché de Londres
Officiellement, le Royaume-Uni a fermé la porte au gaz russe depuis 2023.
Dans les faits, la frontière est beaucoup plus floue : faute de contrôles approfondis sur l’origine réelle des molécules transitant via la Belgique et les Pays-Bas, du gaz « mélangé » pourrait continuer à alimenter le marché britannique sans que personne ne puisse en jurer.
Des molécules impossibles à tracer
Traders, opérateurs de gazoducs (IUK, BBL) et énergéticiens le reconnaissent : dans un système de marché, on achète un prix, pas un passeport moléculaire.
Une fois injecté dans le réseau européen, le gaz – qu’il soit norvégien, qatari ou russe – devient indistinguable.
Sanctions en trompe-l’œil
Des députés britanniques dénoncent une « risée des sanctions » : Londres proclame l’embargo, mais ne demande pas vraiment de preuves.
Les autorités se reposent sur des certificats d’origine européens, eux-mêmes aveugles au mélange.
Un casse-tête pour 2028 et au-delà
Alors que l’UE vise un ban total du gaz russe en 2028, l’enquête montre combien les failles techniques et juridiques pourraient laisser les molécules russes circuler encore longtemps, faute de traçabilité robuste et de volonté politique d’aller au bout des sanctions.
Tour d’horizon des autres faits marquants, par notre expert
Méthane, Washington et Bruxelles : un pacte sous feu croisé
L’UE négocie avec les États-Unis un méga-accord d’importations d’énergie de 750 Mds USD, tout en cherchant à imposer des règles strictes sur les émissions de méthane. Washington et l’industrie s’inquiètent de contraintes jugées pénalisantes pour le GNL US, tandis qu’une partie des eurodéputés dénonce un deal qui pourrait affaiblir la souveraineté énergétique et climatique européenne.
Qatar : bras de fer climatique, mais besoin de l’Europe
Doha brandit la menace de réduire ses livraisons de GNL à l’UE face aux nouvelles exigences ESG européennes. Pour l’instant, l’Asie paie mieux et les risques maritimes renchérissent les cargos vers l’Europe. Mais avec l’extension géante du North Field, le Qatar aura besoin de débouchés supplémentaires : perdre l’Europe serait coûteux, et la menace de coupure totale apparaît limitée.
Le Havre : la fin du GNL d’urgence en France
TotalEnergies va démanteler le terminal flottant de GNL du Havre, symbole de la réponse de crise post-2022. Inutilisé depuis l’été 2024, il est jugé non indispensable par la justice, signe que le risque de rupture d’approvisionnement s’est nettement détendu. Pour le marché, un signal que la phase de panique gazière appartient désormais au passé.
– Helder FARIA RUBIO
Responsable Intelligence Economique chez Capitole Energie
Zoom sur l'énergie verte
Climat : Accélérations et impasses
COP30 : L’essoufflement
La grand-messe climatique, censée insuffler un nouvel élan à la trajectoire 1,5°C, a finalement laissé un goût d’inachevé. À écouter Lord Adair Turner, l’un des sages de l’Energy Transitions Commission, la COP30 n’a pas seulement déçu : elle a confirmé que la mécanique diplomatique atteignait ses limites.
Les engagements ont été dilués, notamment sur la sortie des fossiles, et l’absence volontaire de la délégation américaine a pesé lourd dans l’atmosphère déjà pesante de la conférence.
Pour Turner, le moteur du « haut niveau » cale. Les promesses ne suffisent plus ; seules des feuilles de route claires, chiffrées, sectorielles peuvent remettre le débat sur les rails. Car si l’électrification gagne du terrain dans les transports, le chauffage ou l’industrie légère, les secteurs lourds — acier, ciment, aviation — restent prisonniers de leur inertie. Ici, la clé serait un prix carbone global, cohérent.
Roumanie solaire : Accélération
Pendant que les diplomates tâtonnent, les investisseurs, eux, avancent. L’israélien Nofar Energy vient de sécuriser 192 M€ pour ériger 531 MW solaires en Roumanie, un coup d’accélérateur bienvenu pour un pays qui vise 38 % de renouvelables d’ici 2030. Trois projets, un volume de production de 676 GWh annuels, et une mécanique financière huilée entre EBRD et prêteurs privés.
GOs : Léger rebond, plafond bas
Les garanties d’origine se raffermissent un peu, mais l’humeur reste lourde. Une offre pléthorique limite toute envolée. Les prix progressent de quelques centimes, soutenus par des achats de fin d’année plutôt que par un shift fondamental. Les marchés 2025-2026 restent plombés par un surplus de production, alors que les millésimes 2027 et plus attirent quelques mains avisées.
ETS 2 : L’Europe ajuste les boulons
Bruxelles propose de revoir son futur ETS 2 pour éviter des secousses de prix trop violentes : davantage d’unités mises sur le marché si les cours s’emballent, et un calendrier d’enchères avancé. Objectif : stabiliser un marché encore embryonnaire et accompagner les États dans leurs investissements climat.
Espagne : Batteries en plein décollage
L’Espagne se prépare à un bond spectaculaire : une capacité batterie multipliée par 72 pour atteindre 7,2 GW en 2030. Reste le nerf de la guerre : le financement. Si une partie de la filière bénéficie déjà de subventions, le gros du pipeline devra miser sur des « tolling agreements », ces contrats où un tiers paie pour exploiter la capacité. Une innovation financière appelée à devenir la colonne vertébrale du stockage ibérique.
– Helder FARIA RUBIO
Responsable Intelligence Economique chez Capitole Energie