Pour l’année 2024–2025, huit ateliers doctoraux à l’international en collaboration avec des établissements basés à l’étranger ont été sélectionnés par l’EHESS, impliquant une initiative ou une coopération forte des doctorantes et doctorants. Retour sur l’atelier franco-cubain « Histoire totale, histoire globale » qui s’est tenu du 13 au 25 janvier.
Avec le soutien de l’ambassade de France à Cuba, du programme des ateliers doctoraux internationaux de l’EHESS, de l’Institut Convergences Migrations (IC Migrations), de la Fondation Núñez Jiménez et de l’Université de la Havane, un atelier a été organisé à la Havane du 13 janvier au samedi 25 janvier 2025. Trois enseignants-chercheurs du laboratoire Mondes américains (EHESS/CNRS/Université Paris Nanterre/Paris 1 Panthéon Sorbonne), deux doctorantes et une toute récente docteure du même laboratoire ainsi qu’une chercheuse de l’IC Migrations ont travaillé pendant deux semaines avec des collègues, des doctorants et des mastérants cubains. Le thème général était une discussion historiographique sur le balancement entre enquête par cas et approche globale dans la recherche actuelle.
Alternance entre travail en archives et séminaires
Prenant la suite de deux précédentes éditions (2006 et 2011), conduites sous l’égide de l’Université de Michigan à Ann Arbor avec la participation de l’École, cette édition a réitéré l’alternance entre travail en archives et séminaires. Les participants ont pu bénéficier du savoir-faire et des connaissances des archivistes qui ont pris part au séminaire. Les deux historiens modernistes de la délégation École ont également proposé des cours pratiques de lecture de documents coloniaux, paléographie et interprétation.
Dans le séminaire, quelques thèmes d’histoire moderne ou coloniale ont été abordés, notamment le modèle d’interprétation de l’autorité politique dans des sociétés pré-étatiques, l’impact de l’Inquisition à Cuba, l’institution de la visite d’inspection, les processus de racialisation à l’époque moderne. La majorité des recherches présentées portaient toutefois sur la période XIXe-XXIe siècles. Parmi les thèmes abordés, on peut retenir les cycles révolutionnaires, l’esclavage et la socio-histoire du travail, l’histoire de l’enseignement, les migrations ou diasporas et les voyages de savants, l’évolution de l’environnement, l’établissement des relations internationales de la République Cubaine sur le temps long.
Un bon fonctionnement, malgré les difficultés
La fin de semaine méridienne a consisté en une excursion conduite par un collègue de la Fondation Núñez Jiménez dans la région de Matanzas pour visiter une ancienne plantation caféière, le paysage de la culture de la canne, des installations portuaires et agro-industrielles restaurées ou ayant vocation à l’être. En dépit des difficultés inhérentes à la tenue d’un tel dispositif dans la conjoncture d’une crise économique dramatique, marquée par des coupures de courant électrique de douze à dix-huit heures sur vingt-quatre, par la difficulté pour les étudiants cubains de se rendre dans les lieux de tenue des séminaires, l’atelier a pu fonctionner comme l’espérait l’équipe de l’École.
Avec l’accord de la directrice des Éditions de l’EHESS, l’équipe française a fait le don d’une vingtaine d’ouvrages du catalogue. La poursuite des liens noués avec certains des jeunes chercheurs cubains se traduit par des correspondances en ligne et par l’envoi depuis Paris de matériaux additionnels. Les sept participants de l’École et de l’IC Migrations partagent le sentiment que cette initiative devrait être reconduite dans un avenir le plus proche possible, d’autant plus que l’attitude hostile des États-Unis pourrait à très court terme aboutir à un étouffement de toute vie universitaire à Cuba.
« Reprendre le dialogue et la réflexion entre historiens français et cubains »
« L’atelier s’inscrit dans des échanges de longue date entre les historiens des deux pays, tant au niveau individuel qu’institutionnel. Cette fois-ci, il a eu lieu à un moment particulièrement difficile pour la vie académique et professionnelle à Cuba, au milieu d’une crise économique profonde depuis le début de la présente décennie, exacerbée par le Covid 19. Pour la partie cubaine, ce fut une excellente occasion de s’informer sur l’état actuel des études historiques sur l’Amérique ibérique et les Caraïbes dans le monde académique français. Ce fut également une occasion pour la partie française de se faire une idée de certaines des lignes de recherche de jeunes historiens au début de leur carrière dans des institutions cubaines telles que l’Université de La Havane, l’Institut d’histoire cubaine et les Archives nationales.
Professeurs et étudiants ont participé à l’atelier pour présenter leurs recherches actuelles ou des aspects théoriques et méthodologiques de la profession. Cet échange a été très stimulant pour les jeunes chercheurs cubains dans le contexte actuel de pénurie économique du pays, qui pousse de nombreux diplômés en histoire à abandonner leur vie professionnelle en tant qu’enseignants ou chercheurs pour de meilleures opportunités économiques. Pour cette édition, les sessions se sont limitées à La Havane, mais il serait bon d’envisager la possibilité d’organiser d’autres événements en dehors de la capitale. Ce type d’échange est très utile pour encourager les réseaux de collaboration dans les deux pays. L’échange de bibliographie et de documents numérisés, qui s’est fait à La Havane en personne, est l’un des moyens de poursuivre la collaboration au-delà de l’atelier. L’accès aux bases de données numériques depuis Cuba est extrêmement limité, ce qui constitue une contrainte majeure pour la mise à jour bibliographique. »
— Reinaldo Funes, professeur à l’Université de La Havane et chercheur à la Fondation Antonio Núñez Jiménez
« L’une des principales missions de l’atelier a été de reprendre à Cuba, après de nombreuses années sans événement de ce type, le dialogue et la réflexion entre historiens français et cubains. Chaque session a été l’occasion de travailler sur des sources documentaires et bibliographiques, ainsi que de présenter et de discuter les projets de recherche et les résultats des participants. L’utilité des Archives nationales de la République de Cuba et de la Bibliothèque nationale José Martí pour les recherches des participants était évidente, étant donné le volume de données et d’informations contenues dans leurs collections. Soulignons aussi que l’hétérogénéité thématique, chronologique, théorique, méthodologique et générationnelle qui a caractérisé cet atelier académique a été, plus qu’un défi, un de ses vrais points forts. Il a été particulièrement intéressant pour moi d’apprécier le traitement réservé au concept de race et aux processus de racialisation dans certaines des présentations des homologues français. L’organisation générale du programme, les ateliers consacrés aux sources et l’échange bibliographique ont été couronnés un succès et j’en tire, pour ma part, un indéniable enrichissement professionnel et personnel. »
— Ivan Vázquez Maya, chercheur aux Archives nationales de Cuba