Introduit par la loi Climat et Résilience en 2021, le dispositif des certificats de production de biogaz, fortement inspiré du dispositif des certificats d’économie d’énergie, vise à faire contribuer les fournisseurs de gaz naturel au développement des capacités de production de biométhane. Les fournisseurs devront ainsi, à partir de 2026, prouver qu’ils détiennent un certain nombre de certificats de production de biogaz corrélé à leur volume d’activité, sous peine d’une amende administrative.
Ces certificats, qui matérialisent la production et l’injection dans les réseaux de biogaz, pourront être obtenus par les fournisseurs en produisant eux-mêmes du biométhane ou en les achetant directement auprès de certains producteurs, qui pourront ainsi bénéficier d’un revenu complémentaire en vendant en plus de la molécule de gaz le certificat de production associé.
La parution au Journal Officiel du 7 juillet 2024 des derniers textes d’application donne l’occasion de revenir sur le fonctionnement de ce nouveau dispositif.
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Au cœur de la stratégie de transition énergétique et de sécurité d’approvisionnement, la filière du biogaz fait l’objet d’ambitieux objectifs de développement dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie[1]. Pour accompagner son essor, de nombreux dispositifs de soutien ont été mis en place :
- des dispositifs de soutien budgétaire, notamment (i) une obligation d’achat de biométhane injecté, dans le cadre d’un guichet ouvert ou d’une procédure d’appel d’offres [2], (ii) une obligation d’achat et un complément de rémunération pour l’électricité produite à partir de biogaz[3], (iii) un complément de rémunération pour la production de biogaz majoritairement destinée à des usages liés à la mobilité[4], (iv) un dispositif de contrat d’expérimentation, sous forme d’obligation d’achat, au profit des projets de production de biogaz utilisant des technologies innovantes[5] ;
- des dispositifs de soutien extrabudgétaire, en particulier via le dispositif des garanties d’origine (« GO »)[6].
Avec la volonté de consolider ce cadre, le législateur l’a complété en 2021 avec le dispositif des certificats de production de biogaz (« CPB »)[7]. Ce dispositif impose aux fournisseurs de gaz naturel de prouver annuellement, auprès de l’État, qu’ils détiennent un nombre de CPB corrélé à leur volume d’activité, CPB qu’ils pourront obtenir soit en produisant eux-mêmes du biogaz soit en les acquérant auprès de producteurs de biogaz, qui bénéficieront ainsi d’un complément de prix à la vente de la molécule de biogaz.
Directement inspiré du dispositif des certificats d’économie d’énergie (« CEE »), la comparaison peut aisément être faite entre le dispositif des CPB et ce dernier qui s’articulent tous deux autour :
- d’un document matérialisant les avantages pour l’environnement : CPB pour la production et l’injection de biométhane, CEE pour les opérations d’économie d’énergie[8] ;
- d’un registre électronique géré par un organisme désigné par l’État destiné à assurer la comptabilité des certificats obtenus, acquis ou restitués à l’État ;
- d’acteurs soumis à l’obligation de prouver chaque année à l’État qu’ils détiennent un certain nombre de certificats selon leur volume d’activité : fournisseurs de gaz naturel pour les CPB, fournisseurs d’énergie pour les CEE ;
- de bénéficiaires du dispositif : producteurs de biogaz pour les CPB, bénéficiaires des opérations d’économie d’énergie pour les CEE.
1.Un dispositif contraignant pour les fournisseurs de gaz naturel
Les fournisseurs auront l’obligation de restituer annuellement, à compter de la première période d’obligation qui s’étendra du 1er janvier 2026 au 31 décembre 2028, des CPB à l’État[9]. Malgré sa dénomination, cette obligation de restitution consiste en réalité en une obligation des fournisseurs de prouver annuellement qu’ils ont acquis un certain volume de CPB.
Si au départ seuls les fournisseurs livrant du gaz naturel à des consommateurs finaux, ou consommant du gaz naturel pour leurs propres besoins, au-delà de 400 GWh PCS/an seront soumis à l’obligation de restitution, ce seuil sera réduit de 100 GWh PCS/an pour chacune des années civiles à compter du 1er janvier 2026, afin de concerner l’ensemble des fournisseurs de gaz dès 2030[10]. Pour éviter tout contournement de l’obligation, le niveau d’activité sera apprécié au niveau du groupe, à travers la notion de fournisseurs « liés », empêchant ainsi les fournisseurs de filialiser leurs activités pour passer en dessous des seuils.
Le niveau de l’obligation à la charge de chacun des fournisseurs dépendra de leur volume d’activité, auquel sera appliqué un coefficient :
- le volume d’activité du fournisseur pris en compte concernera les volumes de gaz (i) qu’il livre à des consommateurs résidentiels et tertiaires (excluant ainsi les volumes livrés à des industriels) ou (ii) qu’il consomme lui-même pour une activité d’habitation ou tertiaire ;
- le coefficient, lui, augmentera chaque année d’application du dispositif : 0,41% en 2023, 1,82% en 2027 et 4,15% en 2028[11]. Ces coefficients ont été déterminés par le ministère chargé de l’énergie afin de correspondre au mieux au stock de CPB qui pourront être disponibles en fonction de la production de biométhane au cours des prochaines années. À ce stade, il n’est pas exclu que ces coefficients soient trop élevés par rapport aux CPB qui seront en définitive émis par les producteurs, empêchant alors les fournisseurs de respecter ces obligations, qui sont liées à l’émission des CPB par les producteurs.
Le ministère déterminera le niveau d’obligation propre à chaque fournisseur grâce à une déclaration d’activité que ce dernier devra effectuer au plus tard le 1er mars de chaque année[12] et aux informations qui lui seront communiquées par les gestionnaires de réseaux de gaz naturel[13].
Les fournisseurs, qui devront alors ouvrir un compte auprès du gestionnaire du registre des CPB afin de matérialiser les CPB qu’ils détiennent[14], pourront obtenir des certificats leur permettant de répondre à leur obligation de restitution :
- sur le marché primaire, c’est-à-dire en produisant eux-mêmes du biogaz injecté dans les réseaux et en demandant les certificats associés ou en acquérant directement de tels certificats auprès des producteurs de biogaz injecté ;
- sur le marché secondaire, c’est-à-dire en les achetant auprès d’autres acteurs, avant tout des gros fournisseurs qui auront déjà acquis un surplus de CPB par rapport à leur niveau d’obligation. La création d’un tel marché, qui fait pour l’heure l’objet de discussions entre Engie, TotalEnergies et la CRE, permettrait de pallier la difficulté des plus petits fournisseurs à acquérir des CPB sur le marché primaire.
Les fournisseurs pourront s’organiser sous forme de groupement afin de conclure des contrats d’achat de CPB[15]. Cette faculté devrait surtout être mise en œuvre par les plus petits fournisseurs pour bénéficier d’un levier de négociation.
Au 1er juillet de chaque année, le gestionnaire du registre remettra un état des comptes enregistrés au ministre chargé de l’énergie qui lui demandera alors de procéder à l’annulation des CPB pour chaque fournisseur à concurrence de l’obligation à sa charge[16].
Les fournisseurs qui n’auraient pas assez de CPB enregistrés sur leur compte par rapport à leur d’obligation seront mis en demeure de régulariser leur situation, sous peine d’une amende administrative de 100€ par CPB manquant[17]. Le montant de cette amende constitue ainsi une forme de plafond pour le prix des CPB sur le marché : les fournisseurs préfèreront payer une amende de 100€ par CPB manquant plutôt que d’acquérir des CPB à un prix supérieur.
Les fournisseurs pourront tirer parti des CPB qu’ils auront restitués dans le cadre de leur obligation, en garantissant à leur client qu’une partie du gaz livré dans le cadre de leur contrat de fourniture comprend une part de biométhane[18]. Pour les CPB qui n’auront pas été restitués, notamment en raison d’un surplus, les fournisseurs pourront les utiliser, comme avec les GO, pour certifier la source renouvelable du gaz livré[19]. Il est cependant fort peu probable que les fournisseurs privilégient les CPB aux GO pour certifier l’origine renouvelable du gaz livré pour une raison simple : le coût des CPB, dont la CRE estime qu’il s’établirait autour de 80€/MWh[20], pourrait être supérieur à celui des GO.
2.Un dispositif de soutien pour les producteurs de biogaz
Pour chaque MWh de biogaz produit et injecté dans le réseau, les producteurs de biogaz pourront obtenir un CPB qu’ils pourront ensuite vendre, en plus de la molécule de biogaz, auprès des fournisseurs assujettis à une obligation de restitution annuelle. À l’instar des GO, c’est donc un dispositif de soutien extrabudgétaire qui est mis en place au profit des producteurs en leur permettant de valoriser un produit financier. Pour les producteurs qui sont aussi des fournisseurs de gaz naturel, ces certificats leur permettront de répondre directement à leur obligation de restitution.
Des critères d’éligibilité à l’émission de CPB ont toutefois été mis en place pour restreindre le dispositif à certaines installations :
- le biométhane doit être produit par captage sur une installation de stockage de déchets non dangereux à partir de déchets ménagers et assimilés ou par la méthanisation en digesteur de produits ou déchets non dangereux[21] ;
- l’installation de production doit (i) respecter des critères de durabilité et de réduction des émissions de gaz à effet de serre, (ii) respecter une limite d’approvisionnement par des cultures alimentaires et (iii) être située en France métropolitaine[22] ; et,
- le producteur ne doit pas bénéficier d’autres dispositifs de soutien en faveur de la production de biogaz : le dispositif des CPB est exclusif des contrats de soutien (obligation d’achat et complément de rémunération) ainsi que, pour la même quantité de biogaz, des GO[23].
Les producteurs éligibles au dispositif des CPB devront donc effectuer les arbitrages suivants selon les opportunités économiques :
- s’ils sont éligibles aux différents dispositifs de soutien, entre CPB et contrat de soutien ou, pour une même quantité de biogaz, entre CPB et GO. On peut légitimement penser que des petits producteurs éligibles à des contrats d’obligation d’achat et de complément de rémunération, qui leur garantissent un débouché de production, les privilégieront aux CPB ;
- s’ils ne sont pas ou plus éligibles aux contrats de soutien, entre CPB et GO ;
- s’ils bénéficient d’un contrat de soutien, ils ne pourront émettre des CPB qu’après la résiliation de leur contrat qui impose toutefois, en règle générale, le paiement de lourdes indemnités de résiliation ;
- s’ils ont conclu des contrats de vente directe de biométhane, de type « Biomethane purchase agreement » avec vente de la molécule de gaz et de la GO associée[24], ils pourront faire le choix (i) de recourir au dispositif des CPB pour valoriser les excédents de biométhane pour lesquels aucune GO n’aura été délivrée, voire (ii) renégocier leurs contrats pour intégrer contractuellement le dispositif des CPB en substitution des GO.
À ce stade, il n’est donc pas certain que le dispositif des CPB soit le dispositif privilégié par les producteurs de biogaz injecté, qui pourraient lui préférer les dispositifs déjà existants.
S’ils font le choix des CPB, les producteurs devront être inscrits sur le registre des CPB, et pourront demander au gestionnaire de ce registre de leur délivrer les CPB correspondant à la quantité de biogaz produit et injecté dans les réseaux.
Si en principe 1 MWh de biogaz produit et injecté donne droit à 1 CPB[25], seulement 0,8 CPB seront délivrés par MWh de biogaz produit et injecté pour (i) les installations de production de biométhane par captage sur une installation de stockage de déchets non dangereux à partir de déchets ménagers et assimilés et (ii) pour les installations de production de biométhane par méthanisation en digesteur de produits ou déchets non dangereux pour lesquelles la date de mise en service est supérieure à 15 ans[26].
Avant de procéder à la délivrance des CPB, le gestionnaire du registre vérifiera notamment qu’aucune GO n’est associée au volume de biogaz objet des CPB[27]. Les CPB ne pourront être émis que dans les douze mois suivant l’injection du biogaz dans les réseaux[28] et auront une durée de validité de cinq ans à compter de leur délivrance[29].
Les textes étant silencieux sur ce point, il nous semble que rien ne fait obstacle à ce que des CPB soient émis avant même que l’obligation de restitution de CPB des fournisseurs n’entre en vigueur en 2026. Des producteurs pourraient donc demander l’émission de CPB dès la mise en service du registre national des CPB par EEX, et ainsi accumuler des CPB dans l’objectif de les revendre lors de l’entrée en vigueur de l’obligation de restitution.
Des contrôles administratifs seront menés pour s’assurer que les producteurs respectent la règlementation en vigueur. En cas de manquements à leurs obligations, les producteurs pourront être sanctionnés par le ministre chargé de l’énergie à la suite d’une procédure contradictoire par (i) une sanction pécuniaire, (ii) l’interdiction d’obtenir des CPB pour les volumes de biogaz produits et injectés, (iii) l’annulation de CPB d’un volume égal à celui concerné par le manquement et (iv) la suspension ou le rejet des demandes de CPB[30]. Ces décisions seront publiées au Journal officiel[31].
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Si le dispositif des CPB avait avant tout été conçu comme un dispositif de soutien au profit des producteurs de biogaz, il nous semble surtout être un dispositif contraignant pour les fournisseurs de gaz naturel qui supporteront des coûts supplémentaires liés à l’acquisition de tels certificats. Les consommateurs seront eux aussi directement impactés par ce dispositif avec des fournisseurs qui répercuteront certainement le prix des CPB dans leurs tarifs, avec une augmentation esti