Violence des jeunes : un catalogue de mesures inconséquentes dont on ne mesure pas les conséquences...

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Le 18 avril dernier, la page électronique du quotidien Le Monde reproduisait les propositions
du Premier ministre sur la responsabilisation des parents, le contrôle des écrans, l’autorité à
l’école et la justice des mineurs (https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/04/18/violencedes-mineurs-les-annonces-de-gabriel-attal_6228560_3224.html). Ces pistes ont été tracées
alors qu’il était en déplacement à Viry-Châtillon (Essonne) en compagnie du Garde des
sceaux.
Le Premier ministre et le Garde des sceaux ont énoncé un certain nombre de mesures pour
faire face à «l’addiction d’une partie de nos adolescents à la violence» selon les propos de
Gabriel Attal. Certes, une inquiétude peut naître dès lors que plusieurs faits divers récents,
parfois meurtriers, ont eu pour acteurs des adolescents, parfois très jeunes.
Ce ne sont, hélas, pas des faits nouveaux, l’histoire de l’enfance délinquante en regorge… et
les dispositifs de protection et de sanction ont, à chaque époque, été justifiés par la crainte de
violence des jeunes. «La question de l’enfance coupable est une des plus urgentes de l’époque
présente», était-il écrit dans le préambule de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à
l’enfance délinquante qui, enfin, mettait l’éducation au premier rang des réponses de la
société, ce que le Conseil constitutionnel a résumé en «relèvement moral».
Selon le Garde des sceaux, pour encadrer ces adolescents, «on aura des militaires, des
policiers, des gendarmes, de l’éducatif et de la protection judiciaire de la jeunesse» en
précisant qu’ils pourront se rendre ensemble auprès des «mamans dépassées» pour conduire
l’enfant perturbateur dans un internat. On imagine facilement l’ambiance familiale faisant
face à cette cohorte.
Il n’est pas inutile de rappeler au Premier ministre et au ministre de la justice que la France a
ratifié depuis 1990 la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) et qu’en mai
2023, le Comité des droits de l’enfant a adressé ses observations à l’État dont on peut se
demander si elles ont circulé parmi les ministères régaliens intéressés à la question
(https://www.dei-france.org/recommandations-du-comite-des-droits-de-lenfant/).
En faisant le catalogue des mesures annoncées, on s’aperçoit de leur désordre avant de se
poser la question de leur efficacité, et de leur coût, d’autant que nombre d’entre elles existent
déjà dans l’arsenal législatif :
– «instaurer des amendes à l’encontre des parents qui ne se rendent pas à la convocation du
juge pour enfants». Cette disposition existe déjà, l’article L311-5 du Code de la justice pénale
des mineurs (CJPM) prévoit cette condamnation de même que la possibilité pour le juge de
délivrer un mandat d’amener les parents devant son siège.
– «Rendre les deux parents responsables, solidairement, de la réparation financière quand
un enfant a causé des dégâts». Cette disposition existe depuis l’écriture du Code civil en 1804
(désormais art. 1242);
– «Travaux d’intérêt général pour les parents défaillants». L’article 227-17 du Code pénal
punit le parent qui se soustrait, «sans motif légitime, à ses obligations légales au point de
compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation». Les travaux d’intérêt général
peuvent être imposés à la place de l’emprisonnement (art. 131-8 du Code pénal). En outre, à
l’égard des parents dits «défaillants», l’article L311-5 du CJPM prévoit d’ailleurs qu’ils
peuvent être condamnés à suivre un stage de responsabilité parentale. À cet égard, les
ministres eurent pu s’inspirer de ce qui se réalisait à Metz il y a quelques années lorsque le
parquet proposait ces stages en alternative aux poursuites. Mais il faudrait alors
considérablement développer les moyens humains nécessaires aux actions de soutien à la
parentalité.
Proposer aux parents dont l’enfant «commence à avoir de mauvaises fréquentations
qu’il soit envoyé en internat, loin de son quartier, pour retrouver un cadre». Les ministres
semblent oublier que le retrait d’un enfant de son milieu familial est prévu dans plusieurs
dispositions, et pour autant qu’il soit volontaire de la part des familles, le service de l’ASE
peut formuler des propositions aux parents dans le cadre de «l’aide administrative», il peut
aussi saisir le juge des enfants pour solliciter une aide contrainte lorsque «la santé, la sécurité
ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son
éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement
compromises» dans le cadre de l’assistance éducative (art. 375 CC).
Dans le cadre d’une procédure pénale, le placement dans un internat scolaire est notamment
prévu à l’article L112-5 du CJPM. Toutefois, pour qu’un enfant soit retiré de son milieu
familial et contraint de loger dans un internat, il ne suffit pas qu’il ait «de mauvaises
fréquentations», les conditions de recours à ce type de mesure doivent être remplies (mise en
danger, infraction pénale…), sans lesquelles le risque d’arbitraire est patent. Il est évidemment
impossible de définir précisément ce qu’on appelle «mauvaises» fréquentations. Et au final,
c’est à la juridiction de décider cette atteinte au droit de vivre en famille et à la vie privée (art.
9 et 16 CIDE).
– «Tous les collégiens seront scolarisés tous les jours de la semaine, entre 8 heures et 18
heures, à commencer par les quartiers prioritaires et les réseaux d’éducation prioritaires».
Une telle astreinte n’est autre qu’une punition générale parce que l’on fréquente telle école ou
qu’on habite tel quartier. Ce confinement dans les locaux scolaires constitue non seulement
une entrave à la liberté, mais également une atteinte à la vie privée, une ségrégation selon le
domicile d’un jeune – et de son origine sociale – et contrevient à l’article 2 de la CIDE qui
prohibe de telles discriminations.
– «Retirer des points sur le brevet ou sur le bac et que cette mention soit indiquée dans
Parcoursup en cas de perturbation grave dans l’enceinte de l’établissement scolaire. La
condition pour effacer cette mention et retrouver ces points serait la réalisation d’activités
d’intérêt général au sein de l’établissement scolaire». En confondant l’évaluation des savoirs
avec celle du comportement, c’est à un véritable marquage au fer rouge que le Premier
ministre suggère en s’en prenant à la dignité de l’enfant (art. 28-2 CIDE), au respect de sa vie
privée (art. 16), à son droit à l’éducation (art. 29). D’ailleurs, cette proposition contredit
directement les dispositions du Code de l’éducation qui distinguent l’évaluation des savoirs
(art. L311-1) des mesures disciplinaires. L’usage des instruments d’évaluation en guise de
punition des comportements est prohibé et, réciproquement, l’usage des punitions scolaires
pour insuffisance dans l’acquisition des savoirs.
– «Contrat d’engagement à respecter l’autorité et les valeurs de la République entre les
parents, les établissements et les élèves. Le non-respect de ce contrat pourrait conduire à des
sanctions, voire à la saisine de la justice dans les cas les plus graves». Le respect de la règle
impérative ne se règle pas de façon contractuelle, ou alors c’est de l’escroquerie lorsque
l’acte contractuel est contraint par une forme de chantage. L’atteinte à l’autonomie de la
volonté dénature la valeur du «contrat».
Ensuite, il est extrêmement difficile de déterminer ce qui constitue des «valeurs de la
République». Si l’on s’en tient aux textes qui fondent la République française, on peut se
référer à la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 qui énumère les libertés essentielles et
à l’article 1er de la Constitution selon lequel «La France est une République indivisible,
laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans
distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances».
C’est le socle de la République qui garantit néanmoins la liberté d’opinion et d’expression à
celles et ceux qui ne partagent pas ces valeurs et seule la loi pénale peut punir les délits
d’expression les plus graves, tels l’appel à la haine et à la violence en raison des origines, du
sexe, des croyances, etc.. L’école de la République ne peut former les citoyens qu’en
respectant ce socle et l’adhésion des enfants à l’autorité dès lors qu’elle enseigne ces valeurs
avec pédagogie. Face aux drames de Conflans-Sainte-Honorine ou d’Arras, ce ne sont pas des
minutes de silence dont les enfants ont besoin, mais de temps de parole et d’échange qui
réduisent l’affrontement recherché par des provocations infantiles qui s’épuisent dans certains
propos. N’est-ce donc pas le cadre des cours d’instruction civique ?
– «Généralisation des temps d’apprentissage à l’école primaire du respect de l’autre et de la
tolérance». Que l’on sache, ces valeurs de respect et de tolérance s’appliquent dès la
maternelle, ou alors on prendrait nos enseignants pour des idiots. «Faire classe», c’est l’un
des moteurs de l’éducation, alors pour quelle raison en faire une innovation pour lutter contre
la violence ? Les principes éducatifs sont d’ailleurs énoncés à l’article 29 de la CIDE qui
rappelle notamment qu’ils visent à «Inculquer à l’enfant le respect des droits de l’homme et
des libertés fondamentales, et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies».
Inscrite dans les programmes, la généralisation de ces apprentissages est en panne. Combien
d’enfants ont entendu parler de la CIDE dans leurs classes ?
– «Renforcement des équipes «valeurs de la République» qui permettent de conseiller les
professeurs ou les chefs d’établissement confrontés à des difficultés sur la laïcité». On en
viendrait à se demander ce qu’on enseigne aux enseignants et pourquoi leur méconnaissance
des «valeurs de la République» nécessite un apprentissage supplémentaire. Et qui va former
les conseilleurs ?
L’on peut certes s’accorder pour dire que certains établissements faisant face à des
comportements graves, voire violents puissent faire appel à des équipes de soutien qui, en
principe, existent déjà… si ce n’est seulement sur le papier. Qu’il s’agisse de les renforcer, les
enseignants ne demandent qu’à être accompagnés pour que leur activité se déroule de façon
apaisée dans des classes où les enfants coopèrent.
«Ouverture d’un débat pour voir si des «atténuations» à «l’excuse de minorité», principe
qui fait qu’un mineur est sanctionné moins sévèrement qu’un majeur, sont «possibles» et
«souhaitables»». Si le Garde des sceaux ne s’est pas étranglé lorsqu’il a opiné du chef, on
peut se demander s’il dispose d’une connaissance de la justice pénale des mineurs, sachant
que cette excuse de minorité et ses exceptions sont inscrites depuis longtemps dans la loi :
1) Depuis l’introduction du Code de la justice pénale des mineurs, les enfants de moins de 13
ans sont supposés ne pas être responsables pénalement, sauf si des éléments permettent de
renverser cette présomption;
2) Entre treize et seize ans, des peines peuvent être appliquées, y compris la privation de
liberté, étant précisé que l’excuse de minorité, qui conduit à diviser par deux la peine
encourue, est automatique;
3) Pour les mineurs de seize à dix-huit ans, le Tribunal des enfants, ou la Cour d’assise des
mineurs disposent de la faculté de déroger à la règle et de condamner jusqu’à une peine ne
pouvant dépasser 30 ans d’emprisonnement…
Revenir sur la moitié de la peine inscrite dans le Code pénal pour les 13-16 ans ?
L’on peut croire que ces propos relèvent plutôt d’une vision vengeresse de la justice des
enfants, bien loin du prescrit des articles 37, b) («l’arrestation, la détention ou
l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, être qu’une mesure de
dernier ressort et être d’une durée aussi brève que possible») et 40 de la CIDE
L’on sait pourtant que la vengeance relève souvent d’un remède aussi grave que l’acte auquel
elle prétend répondre.
«Le Garde des sceaux va également réfléchir à la mise en place «d’une comparution
immédiate devant le tribunal pour les jeunes à partir de 16 ans» au lieu de 18 ans».
Qu’à cela ne tienne, cela existe déjà, même en ne portant pas le même nom. Le CJPM autorise
déjà cette accélération de la procédure permettant de juger le jeune dans un délai de 10 jours à
1 mois, sachant qu’en attendant le mineur peut être placé sous contrôle judiciaire, voire en
détention provisoire jusqu’à l’audience unique.
De l’avis général, la procédure de comparution immédiate pour les adultes est déjà considérée
comme une procédure d’exception atteignant notamment les droits de la défense des
personnes poursuivies. Prévoir «l’audience du lendemain», autrefois appelé «tribunal des
flagrants délits», pour des enfants contribuerait à éloigner un peu plus la justice des mineurs
des règles requises par la CIDE, notamment «pour la préparation et la présentation de sa
défense» (art. 40).
De manière exceptionnelle, le Code autorise que le mineur soit jugé en une seule et unique
audience, qui peut même intervenir plus rapidement, et il prévoit même qu’avant cette
audience au fond le mineur puisse faire l’objet dès 13 ans d’une procédure de jugement
rapide devant le tribunal pour enfants avec saisine entre-temps du Juge des libertés et de la
détention (JLD) pour une détention provisoire. Si les faits sont graves un jeune de 13 ans,
même inconnu, peut dès la sortie de la garde à vue être déféré à un juge d’instruction qui
pourra après mise en examen le présenter à un JLD pour un mandat de dépôt.
Que veut de plus le ministre de la justice ?
Les jeunes identifiés dans les écoles comme «commençant à partir à la dérive»
assisteraient à une comparution immédiate au tribunal pour comprendre que «la règle peut
donner lieu à des sanctions». Sauf à respecter les conditions et la procédure en assistance
éducative (art. 375 et s. CC) pour les enfants «en danger», on voit mal selon quel règle un
jeune pourrait être contraint de se présenter devant un juge sans qu’il n’y ait eu de poursuite
pour infraction. La tendance de se décharger du disciplinaire pour aller directement au pénal
se confirmerait donc au dépends de la nécessaire pédagogie qui devrait précéder l’exercice de
la sanction.
Mesure de «composition pénale» qui permettrait la mise en œuvre d’une sanction sans
procès contre un mineur de plus 13 ans si celui-ci reconnaissait les faits et acceptait la
sanction. La «justice des riches» s’inviterait-elle dans la justice des enfants ? Ce que l’on a
coutume d’appeler le «plaider coupable» est en général utilisé pour éviter l’opprobre de
comparaître au pénal et de recueillir à bon compte les amendes négociées avec la partie
poursuivie. D’ailleurs, telle procédure serait en contradiction totale avec l’article 40, IV de la
CIDE prévoyant que «l’enfant suspecté ou accusé d’infraction à la loi pénale ait au moins le
droit (…) à ne pas être contraint de témoigner ou de s’avouer coupable; à interroger ou faire
interroger les témoins à charge, et à obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à
décharge dans des conditions d’égalité».
Annoncées lors de la déclaration de politique générale du premier ministre, les «mesures
d’intérêt éducatif», qui seront l’équivalent des travaux d’intérêt général pour les mineurs de
moins de 16 ans, seront mises en œuvre «dès la rentrée des vacances de printemps».
On peut supposer que ces obligations seraient adjointes à celles relevant des mesures
éducatives pesant sur les enfants ayant enfreint la loi pénale, en retenant quand même que le
travail forcé des enfants est tout à fait proscrit.
Contrôle des écrans et des réseaux sociaux
«Une commission sur la régulation des usages des écrans doit rendre ses conclusions d’ici la
fin du mois».
«Application d’une nouvelle loi sur le contrôle de l’âge des jeunes inscrits sur les réseaux
sociaux, avec une majorité numérique fixée à 15 ans». Sachant que les réseaux charrient des
horreurs et des agressions, qu’en certaines circonstances de harcèlement, leur usage a eu des
conséquences graves chez certains jeunes, notamment des suicides, établir une telle majorité
induit non seulement l’existence d’un contrôle parental, une adaptation des industriels des
équipements qui profitent de l’usage de ces accès, tout en admettant la capacité des réseaux et
des jeunes de trouver les astuces pour surmonter ces obstacles.
Il reste à espérer que cette «Commission» rende des résultats appelant à donner les directives
et les moyens pour que le corps enseignant puisse animer des ateliers à l’utilisation des
réseaux et aux risques de leurs usages. Il est reconnu que dans les classes où les enfants ont
pris l’habitude de coopérer, les tendances à l’agressivité et au harcèlement sont en forte
baisse.

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