La proposition de loi déposée par les députés Sylvain Maillard, Olivia Grégoire, Daniel Amiel et Jean Laussucq tend à modifier le mode d’élection des membres du Conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille. Adoptée à l’Assemblée nationale le 9 avril dernier, la commission des lois du Sénat a décidé de la rejeter. Le texte qui sera discuté en séance publique les 3 et 4 juin sera donc celui issu de l’Assemblée nationale.
Pourquoi ce texte ?
Dans les villes de Paris, Lyon et Marseille, le mode d’élection des conseillers municipaux (ou conseillers de Paris) déroge aux règles de droit commun, chacune de ces villes étant composée de plusieurs secteurs. Lors des scrutins municipaux, des conseillers d’arrondissement sont élus au sein de chaque secteur, dont certains sont fléchés pour siéger au conseil municipal (ou conseil de Paris), en fonction de la démographie de chaque secteur.
Les députés auteurs de la proposition de loi considèrent ce mode de scrutin comme « une anomalie démocratique« , notamment car l’importance électorale d’une voix dépend du lieu où l’on réside. Ils souhaitent donc l’organisation d’un scrutin distinct, à l’échelle de la commune, pour l’élection des conseillers municipaux (ou conseillers de Paris). Les auteurs de la proposition de loi entendent également renforcer les compétences des mairies d’arrondissement.
Le texte prévoit ainsi notamment :
– L’organisation de deux scrutins simultanés lors des élections municipales dans ces villes : l’une pour désigner les conseillers de Paris ou les conseillers municipaux de Lyon et Marseille à l’échelle de la commune, l’autre pour élire les membres des conseils d’arrondissement dans chaque secteur ;
– La fixation à 25 % de la prime majoritaire appliquée au Conseil de Paris et aux conseils municipaux de Lyon et Marseille ;
– La possibilité pour le maire d’arrondissement d’assister au conseil municipal, même s’il n’en est pas membre, ainsi que la possibilité d’être entendu, à sa demande, sur les délibérations de ce conseil qui concernent son arrondissement ;
– La remise par le Gouvernement d’un rapport évaluant les possibles transferts de compétences de la mairie centrale vers les mairies d’arrondissement au sein des villes de Paris, Lyon et Marseille.
Pourquoi le rejet de la commission des Lois du Sénat ? Les arguments avancés :
Les travaux conduits par les sénateurs ont donné lieu à la consultation de l’ensemble des acteurs concernés (maires, maires d’arrondissement, présidents de métropole, groupes politiques). Ils ont mis en lumière leur opposition quasi-unanime à la réforme envisagée et ont permis d’identifier les nombreuses difficultés posées par le dispositif proposé.
- La prime majoritaire de 25 % retenue pour l’élection des conseillers municipaux entraînerait une rupture d’égalité entre les communes
Par dérogation à la prime majoritaire de 50 % prévue dans le droit commun, la proposition de loi prévoit que la liste arrivée en tête pour l’élection au conseil de Paris ou aux conseils municipaux de Lyon et Marseille obtiendrait 25 % des sièges. Selon Christophe Chabrot, maître de conférences de droit public qui a participé aux travaux, cette prime majoritaire dérogatoire pourrait être jugée inconstitutionnelle, en ce qu’elle « n’est absolument pas justifiée dans les explications de la proposition de loi et qu’elle ne s’appuie sur aucun élément objectif pouvant fonder cette dérogation », entraînant de facto une rupture d’égalité entre les collectivités territoriales.
- Le risque d’une atteinte à l’intelligibilité du scrutin, lié à l’organisation concomitante de plusieurs élections
Le dispositif proposé conduirait en outre à l’organisation de deux élections le même jour à Paris et Marseille et même de trois élections le même jour à Lyon (conseils d’arrondissement, conseil municipal et métropole de Lyon), en contradiction avec les objectifs de clarté et d’intelligibilité du scrutin.
- Des difficultés pratiques d’organisation liées à la proximité des prochaines échéances électorales
S’il est constitutionnellement admis que les règles électorales peuvent être modifiées l’année précédant une élection, l’ampleur de la réforme envisagée rendrait impossible sa mise en œuvre avant les prochaines élections municipales.
Ainsi, selon la direction des moyens de l’administration territoriale et de l’encadrement supérieur (DMATES), la réforme à mettre en œuvre dans des délais particulièrement contraints est de nature à fragiliser la capacité des pouvoirs publics à organiser ces scrutins dans des conditions matérielles satisfaisantes.
En effet, la tenue simultanée de deux voire trois élections apparaît également complexe à mettre en œuvre du point de vue des moyens humains. Les communes sont en effet déjà confrontées à d’importantes difficultés pour mobiliser un nombre suffisant d’assesseurs et de présidents de bureaux de vote. Si la réforme entrait en vigueur, la mobilisation de 310 présidents de bureaux de vote, 610 assesseurs et 300 agents de la ville supplémentaires à Lyon serait nécessaire, ce qui ne ferait qu’amplifier les difficultés préexistantes.
- Le dédoublement des comptes de campagne générerait d’importantes difficultés pour retracer les dépenses
- Une réforme au coût financier élevé dans un contexte budgétaire déjà contraint.
Selon la DMATES, le coût de la réforme s’élèverait à 15 millions d’euros, sans compter les indemnités de mandat supplémentaires.
- Une réforme qui provoquerait une forte instabilité politique
Pour la commission, le dispositif proposé générerait en outre une importante instabilité politique, liée :
- D’une part, à la modification profonde des équilibres politiques qu’elle pourrait induire ;
- Et, d’autre part, au risque d’absence de majorité stable au sein des conseils municipaux, résultant de l’application d’une prime majoritaire de 25 %. Ainsi, comme l’a résumé Benoît Payan, maire de Marseille, « avec une prime à 25 %, les hémicycles de ces villes risquent de se retrouver fractionnés et fracturés, et là encore de favoriser, au lieu d’un projet municipal concret, des accords au texte par texte tout au long de la mandature ».
- Une réforme qui mettrait à mal la démocratie de proximité à rebours du souhait exprimé par les électeurs
En l’état actuel du droit, les conseillers municipaux (ou conseillers de Paris) sont nécessairement élus dans un conseil d’arrondissement, ce qui garantit, la prise en compte des intérêts de tous les territoires.
Or, la proposition de loi prévoit une dissociation des mandats de conseiller municipal et de conseiller d’arrondissement. Ainsi, il serait possible d’être élu au conseil central, sans siéger parallèlement au conseil d’arrondissement, ouvrant la voie à ce que certains arrondissements soient sur-représentés au conseil central, alors que d’autres arrondissements pourraient ne pas y être représentés du tout, faisant obstacle à la prise en compte de leurs besoins.
Comme l’a indiqué Grégory Doucet, maire de Lyon, cette situation emporte trois principaux risques :
- D’abord, « la réforme éloignerait les élus municipaux de la population », puisqu’ils ne seraient plus nécessairement conseillers d’arrondissement ;
- Ensuite, elle « déconnecterait la mairie centrale des arrondissements, alors que la présence actuelle des élus d’arrondissement au conseil central lui permet d’avoir une connaissance fine des quartiers et des problématiques rencontrées, ce qui garantit la bonne prise en compte des préoccupations des habitants » ;
- Enfin, la réforme affaiblirait les élus d’arrondissement, qui seraient relégués à des fonctions de « super délégués de quartiers ».
L’ensemble de ces considérations a conduit les sénateurs à rejeter la proposition de loi.
Rejet de la commission des Lois :
https://www.senat.fr/leg/ppl24-649.html
Accédez au texte qui sera discuté en séance publique :