Kenya : À l’ombre du tourisme de masse et du crédit carbone pour les géants de la tech, les droits des peuples autochtones bafoués

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L’organisation Northern Rangelands Trust (NRT) a restreint l’accès des communautés locales à leurs terres pour les transformer en zones de conservation. Ces espaces servent de parcs touristiques et de projets censés capter le dioxyde de carbone de l’atmosphère, dans lesquels des entreprises comme Netflix ou Meta investissent pour compenser leurs émissions. Un nouveau rapport d’Avocats Sans Frontières (ASF) et de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) documente la manière dont les actions du NRT ont déclenché une crise des droits humains parmi les peuples autochtones.

Paris et Bruxelles, le 29 juillet 2025. Dans le nord du Kenya, le paysage fantasmagorique du conté d’Isiolo attire les touristes fascinés par la faune sauvage de la savane, mais aussi les investissements “verts” des grandes entreprises en quête de respectabilité climatique. Pourtant, les violations des droits humains subies par les communautés locales, qui vivent depuis des temps immémoriaux de leurs activités pastorales, y sont graves, persistantes et préoccupantes. C’est ce que révèle un rapport de la FIDH et d’ASF (disponible en anglais).

S’appuyant sur une analyse documentaire et un travail de terrain approfondis, le rapport met en évidence une tendance inquiétante : alors que les initiatives de conservation se multiplient, les communautés dont les terres et les moyens de subsistance sont les plus touchés par leur développement restent privées d’accès à la justice. Dans les zones de conservation d’Isiolo, dont beaucoup sont gérés par le Northern Rangelands Trust, le droit à un recours effectif reste largement hors de portée des communautés.

Un harcèlement systématique

Les membres de la communauté d’Isiolo rapportent un harcèlement systématique de la part des forces de sécurité, des restrictions à l’accès aux terres, et même des enlèvements et des exécutions extrajudiciaires. Les défenseur·es des droits humains et les leaders communautaires sont de plus en plus ciblé·es et font l’objet de poursuites judiciaires abusives, notamment des procédures-bâillons, pour avoir dénoncé la situation. Les tentatives d’obtenir des réparations sont systématiquement bloquées par des obstacles procéduraux et pratiques.

« Les mesures d’atténuation du changement climatique et de protection de la biodiversité ne peuvent pas se faire au détriment des droits humains », a déclaré Gaëlle Dusepulchre, Directrice adjointe du bureau Entreprises, droits humains et environnement de la FIDH. « L’étude montre que la violence et l’intimidation sont le lot quotidien de ceux et celles qui dénoncent les violations commises dans le cadre de ces projets. Tous les acteurs concernés, y compris l’État, les exploitants des reserves, les investisseurs et les bailleurs, doivent veiller au strict respect des normes concernant les droits humains et de transparence, et garantir une participation réelle et l’accès à la justice pour les communautés locales ».

Le NRT est l’organisation faîtière de 45 réserves naturelles à travers le Kenya. Il bénéficie également du soutien de fonds de coopération publique tels que l’Union européenne, l’USAID et les agences pour le développement de France, Italie et Suède.

En janvier dernier, la Haute Cour du Kenya avait estimé que le NRT devait cesser ses activités dans deux zones de conservation jugées illégales car elles avaient été créées sans le consentement libre, préalable et éclairé des communautés.

Alors que les zones de conservation sont présentées comme un moyen de protéger les écosystèmes et la subsistance des communautés, le NRT contrôle la gouvernance foncière et les revenus comme une entreprise privée. L’étude corrobore les nombreuses façons dont la gestion des réserves va à l’encontre des principes des Nations unies sur la responsabilité des entreprises en matière de droits humains.

Au cœur de la crise figure l’absence d’enregistrement officiel des terres en vertu de la loi kenyane sur les terres communautaires. Ce vide juridique crée un dangereux déséquilibre des pouvoirs, puisque les communautés sont exclues des décisions concernant leurs terres ancestrales et privées des avantages liés aux revenus générés par la conservation.

« À Isiolo, le modèle de conservation n’est pas considéré par les communautés comme un espace de protection ou de développement, mais comme une force dominante qui remplace l’autorité de l’État et contrôle leurs terres et leurs vies. Beaucoup expriment un profond sentiment d’impuissance, car ils ne disposent pas de voie claire et accessible pour garantir leurs droits, ce qui les prive des moyens de prendre des décisions sur leur avenir. La décision de la Haute Cour constitue une reconnaissance historique de ces abus et un signal d’alarme pour les bailleurs de fonds et les investisseurs, qui doivent désormais intégrer la redevabilité et la diligence raisonnable dans leurs efforts de conservation et d’enregistrement des terres », a déclaré Grazia Scocca, Conseillère juridique et politique d’ASF sur entreprises et droits humains.

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Lucia Posteraro