Nos experts vous présentent leur analyse complète de toute l’actualité sur les marchés de l’énergie à la date de clôture du 17 octobre 2025.
Marché de l'électricité
Électricité : la Loire met EDF sous tension
Le fleuve Loire a rappelé à EDF qu’il est aussi un acteur du système énergétique. À Chinon, un amas d’algues vertes a bloqué un canal de refroidissement du réacteur 3, en maintenance. Si l’incident, jugé “significatif” par l’Autorité de sûreté nucléaire, n’a pas eu d’impact direct sur la sûreté, il souligne une réalité plus dérangeante : le nucléaire français doit désormais composer avec les effets concrets du changement climatique.
Faible débit des cours d’eau, températures anormalement élevées, prolifération d’algues… Trois autres centrales le long de la Loire ont été affectées, révélant une vulnérabilité structurelle du parc. En parallèle, les opérations de maintenance continuent de peser sur la disponibilité : EDF a repoussé le redémarrage de Gravelines 1 à novembre, tandis qu’un incident électrique a immobilisé Dampierre 2. À quelques semaines du pic hivernal, la marge de manœuvre se réduit. L’hiver approche, et la météo s’impose désormais comme un facteur aussi stratégique que le prix du mégawatt.
À la une
Chinon : quand le réchauffement climatique s’invite au cœur du nucléaire
Fin août, la centrale nucléaire de Chinon (3,6 GW), installée sur les bords de la Loire, a connu un épisode inédit : une invasion massive d’algues vertes a colmaté l’un des deux circuits de refroidissement du réacteur n°3. Ce phénomène, jugé « significatif pour la sûreté » par EDF, a mis en lumière une vulnérabilité insoupçonnée : celle du nucléaire face aux effets du changement climatique.
Des algues, des joints et des écarts de conformité
Les amas spongieux d’algues ont ralenti le débit d’eau nécessaire au refroidissement, obligeant EDF à activer deux fois ses procédures d’urgence : plongeurs, nettoyage chimique et équipe de crise permanente. Mais l’incident a aussi révélé des défaillances techniques : joints de tambours trop fins (4 mm au lieu de 8), capteur de débit hors service depuis mai. Si la situation n’a jamais menacé la sûreté – le réacteur disposant d’une voie de secours – elle soulève des questions sur la rigueur de la maintenance et la résilience du parc face aux aléas naturels.
Le climat, nouveau défi du parc nucléaire français
Pour l’Autorité de sûreté nucléaire, cet incident de niveau 0 reste sans conséquence majeure. Mais pour les experts, c’est un avertissement climatique : des rivières plus chaudes, des débits plus faibles, et désormais des proliférations biologiques inédites pourraient redessiner la carte de la sûreté nucléaire française. Un signal que le futur mix énergétique ne peut ignorer.
L’essentiel à retenir ailleurs en Europe, par notre expert
Éolien en mer : la France à contre-vent
Les appels d’offres pour deux nouveaux parcs offshore ont tourné au fiasco : aucun soumissionnaire pour le 7e appel d’offres, seulement deux pour le 8e. Les développeurs dénoncent un système trop risqué et coûteux – garanties financières de plus de 700 millions d’euros, pénalités excessives et manque de visibilité. Sans réforme rapide, la France risque de manquer son objectif de 18 GW d’éolien offshore d’ici 2035.
Marché européen : l’ombre des prix négatifs
Face à la surproduction verte, les développeurs européens insèrent désormais dans leurs PPA (contrats d’achat d’électricité) des clauses protégeant contre les prix négatifs. Un mouvement parti du Royaume-Uni et désormais généralisé en Europe, garantissant aux producteurs une stabilité de revenus malgré la volatilité du marché.
Norvège : la croissance électrique au service de la transition
Le régulateur norvégien prévoit une hausse de 20 % de la demande d’électricité d’ici 2035, portée par l’industrie, la mobilité et l’hydrogène. La production suivra (+16 %), maintenant un excédent énergétique et des prix parmi les plus stables d’Europe, grâce à la flexibilité du parc hydraulique.
– Helder FARIA RUBIO,
Responsable Vente Indirecte et Partenariats chez Capitole Energie
Marché du gaz
Gaz : un calme trompeur
Sur le front du gaz, l’Europe respire… pour l’instant. Le TTF néerlandais a glissé vers les 31 €/MWh, profitant d’une météo douce, d’un afflux de GNL et d’une accalmie géopolitique temporaire. Les stocks affichent encore un taux confortable de 83 %, mais c’est 12 points de moins que l’an dernier à la même période.
Derrière cette détente apparente, les signaux d’alerte se multiplient : attaques russes sur les infrastructures ukrainiennes, ralentissement des flux norvégiens, et appétit croissant de l’Asie pour le gaz liquéfié. En clair, la situation est stable… tant que tout va bien. Le moindre coup de froid, la plus petite secousse politique, et la volatilité pourrait faire son grand retour. Pour les acteurs du marché, c’est le moment de sécuriser les volumes — pas d’attendre que le thermomètre fasse loi.
À la une
Vers un hiver colonisé par le GNL américain
Cet hiver, l’Europe s’apprête à pulvériser ses records d’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) américain.
Selon des sources du marché, les nouveaux projets de liquéfaction aux États-Unis — Golden Pass, Corpus Christi, Plaquemines (Venture Global) — pourraient libérer des volumes supplémentaires sur un marché déjà tendu.
Une course mondiale à la liquéfaction
Cette dynamique s’inscrit dans un plan colossal : environ 150 milliards de mètres cubes (Gm³/an) de capacités de liquéfaction supplémentaires entre 2025 et 2030, soit près de la moitié des capacités mondiales à venir.
Le Vieux Continent, privé progressivement du gaz russe, est dorénavant l’acheteur « spot » par excellence. Depuis le début de l’année, il a déjà absorbé 72 Gm³ de GNL états-unien sur un total de 127 Gm³ importés. Pour compenser l’abandon progressif de la Russie, Bruxelles mise massivement sur le GNL américain comme principal tampon face aux aléas.
Une dépendance énergétique sous tension
Mais l’équation est fragile. Un arrêt imprévu, une perturbation météo ou une flambée de la demande asiatique pourraient déclencher des chocs de prix.
En dépit de stocks européens aujourd’hui remplis à ~83 %, le climat, la logistique et les incidents techniques restent les facteurs les plus volatiles. Enfin, ce rôle pivot du GNL US inscrit l’Europe dans une dépendance énergétique, certes différente, mais réelle.
Tour d’horizon des autres faits marquants, par notre expert
Le démantèlement imposé du terminal Cape Ann
Le tribunal administratif de Rouen a ordonné le démantèlement du terminal flottant Cape Ann (TotalEnergies), jugé juridiquement illégal. Utilisé à moins de 15 % en 2024, il est à l’arrêt depuis août. Le juge considère que « l’urgence » ne justifie plus son maintien — une décision qui fragilise la stratégie de sécurisation gazière jugée nécessaire en 2022.
Le Parlement européen pousse à un bannissement accéléré du gaz russe
Le Parlement européen propose d’interdire les importations (gaz et GNL) russes dès le 1ᵉʳ janvier 2026, avec exceptions limitées pour les contrats antérieurs. Il demande aussi l’interdiction de stockage temporaire de gaz d’origine russe. Ces propositions rigoureuses complètent la position du Parlement que l’UE doit fermer les « portes de contournement ». Parlement Européen
Le Conseil de l’UE maintient un calendrier graduel mais ambitieux
Le 20 octobre, les ministres de l’énergie ont approuvé la position du Conseil : interdiction progressive du gaz russe — nouveaux contrats dès 2026, pleine interdiction en 2028, avec une transition encadrée pour les contrats existants. Conseil de l’Union européenne+1 L’UE impose un système d’« autorisation préalable » pour importer du gaz, à condition de vérifier l’origine non russe.
– Helder FARIA RUBIO
Responsable Vente Indirecte et Partenariats chez Capitole Energie
Zoom sur l'énergie verte
L’Europe énergétique en turbulence : consensus rompu et modèles fragilisés
Royaume-Uni : la fin d’un consensus vert
Pendant plus d’une décennie, Londres incarnait un rare exemple d’unité politique autour du climat. Travaillistes, conservateurs et libéraux-démocrates parlaient d’une même voix : celle de la décarbonation. Ce fragile équilibre vient pourtant de voler en éclats.
Ed Miliband, ministre britannique de l’Énergie, a constaté cette semaine la « disparition du consensus national » après le virage pris par les conservateurs, désormais tentés par un discours climatosceptique sous la pression du Reform Party. La droite promet de démanteler le marché du carbone britannique et d’abolir plusieurs subventions vertes — un revirement spectaculaire.
Pourtant, 80 % des Britanniques demeurent favorables aux énergies renouvelables. Miliband tente d’y voir une base solide : « Avec une vision claire et un partenariat fort avec les entreprises, nous pouvons préserver notre trajectoire. » Mais la fracture politique, elle, est bien entamée.
Allemagne : unité préservée, marché sous tension
Berlin a choisi la cohérence plutôt que la fragmentation. Contre l’avis du réseau européen Entso-E, le gouvernement Scholz a confirmé le maintien d’une bidding zone unique, refusant le découpage du marché de l’électricité en cinq zones.
Objectif : préserver la liquidité du plus grand marché européen et éviter des distorsions de prix régionales. Un pari risqué, car les congestions Nord-Sud restent un talon d’Achille. L’approbation récente d’une ligne à très haute tension en atténuera une partie, mais la question de l’efficacité structurelle reste entière.
France : l’éolien en mer dans la tempête
Après l’échec de l’appel d’offres pour le projet d’Oléron, les géants Iberdrola et Ocean Winds tirent la sonnette d’alarme. Garanties financières excessives, pénalités lourdes, indexation incertaine sur l’inflation : le modèle français dissuade.
« Les développeurs n’investiront que s’ils ont de la visibilité », rappelle Marc Hirt (Ocean Winds). Avec seulement trois parcs en service (1,5 GW) et un objectif de 18 GW d’ici 2035, la France risque le décrochage si une réforme rapide n’est pas engagée.
Europe de l’Est : rébellion réglementaire
En Roumanie, Romgaz attaque Bruxelles devant la Cour de justice de l’UE. Motif : une répartition jugée « disproportionnée » de la future capacité de stockage de CO₂. Bucarest refuse de supporter 20 % de l’effort européen.
Un geste symbolique mais lourd de sens : l’unité énergétique européenne vacille, chaque pays cherchant désormais à défendre sa propre équation entre transition, souveraineté et compétitivité.
– Helder FARIA RUBIO
Responsable Vente Indirecte et Partenariats chez Capitole Energie