Né le 1er septembre 1925 à Gardena, en Californie, Art Pepper aurait eu cent ans cette année. Saxophoniste alto au son incisif et fragile, il reste l’un des visages les plus bouleversants du jazz West Coast. À la fois virtuose et écorché, Pepper a traversé les années 1950 en pleine effervescence musicale, avant que la drogue et les séjours en prison ne marquent son parcours d’une ombre indélébile. Pourtant, chaque retour sur scène sonnait comme une renaissance : des ballades d’une pureté désarmante aux chorus brûlants, son jeu témoignait d’une urgence vitale. L’occasion d’effectuer un voyage à travers ses enregistrements majeurs, ceux qui condensent la fougue et la tendresse d’un musicien toujours au bord du gouffre. Voici donc notre sélection, certes subjective et non exhaustive, des meilleurs albums d’Art Pepper à écouter absolument, en vinyle de préférence !
Surf Ride (1952-1954)
Album vif et solaire mais jamais superficiel, Surf Ride capture Art Pepper au sommet de sa virtuosité mélodique — un disque assemblé à partir de sessions enregistrées entre 1952 et 1954 et publié par Savoy en 1956.
Sur douze plages courtes et percutantes, Pepper déroule un phrasé incisif, tour à tour lyrique et mordant, qui tranche avec l’étiquette « West Coast cool » pour révéler un bop racé et nerveux ; on y retrouve des partenaires de premier plan (Hampton Hawes, Russ Freeman, Jack Montrose) qui poussent l’alto à la fois vers la clarté et l’urgence.
Aujourd’hui, Surf Ride conserve cette qualité rare : la sensation d’un musicien en feu, précis dans son art, capable d’alterner standards et compositions personnelles avec une aisance souveraine.
Playboys (Picture of Heath) avec Chet Baker (1956)
Enregistré fin octobre 1956 à Hollywood, Playboys — rebaptisé Picture of Heath — est l’une des plus passionnantes rencontres entre Art Pepper et Chet Baker. Sur ce sextette de haute voltige, l’alto de Pepper et la trompette de Baker dessinent ensemble un dialogue complice, lyrique, parfois mutin, sur un répertoire dominé par les compositions de Jimmy Heath.
L’album déploie sept titres sur la version originale — « For Minors Only », « Minor Yours » (un thème de Pepper), « Picture of Heath » en tête d’affiche — où chaque morceau expose à la fois la maîtrise harmonique du West Coast jazz et la verve bop à laquelle Pepper et ses acolytes restent viscéralement attachés. Phil Urso au ténor, Carl Perkins au piano, Curtis Counce à la contrebasse, et Larance Marable à la batterie composent le cadre rythmique d’un album solide et inventif.
Art Pepper Meets the Rhythm Section (1957)
Art Pepper Meets the Rhythm Section, enregistré le 19 janvier 1957 à Los Angeles pour le label Contemporary, est sans doute l’un des sommets de la discographie d’Art Pepper. Ce jour-là, Pepper se trouve seul devant une section rythmique d’exception : Red Garland au piano, Paul Chambers à la contrebasse, et Philly Joe Jones à la batterie — les piliers du quintette de Miles Davis.
Malgré des circonstances adverses — un alto en mauvais état, des mois d’inactivité, et l’annonce de la session le matin même — Pepper produit un jeu incandescent, intérieur et sincère. Ainsi, l’album alterne standards (« You’d Be So Nice to Come Home To », « Star Eyes », « Tin Tin Deo ») et compositions originales (« Straight Life », « Waltz Me Blues », etc.), et révèle un artiste capable de transcender ses failles pour offrir une musique d’une grande intensité.
Art Pepper + Eleven (1959)
Sorti en 1959 sur le label Contemporary et produit par Lester Koenig, Art Pepper + Eleven : Modern Jazz Classics est l’un des albums les plus ambitieux et les plus attachants d’Art Pepper. Dirigé par l’arrangeur Marty Paich, l’album le voit à la tête d’un orchestre de onze soufflants, où il peut déployer une palette sonore riche — alto, clarinette — sur des standards modernes de Gillespie, Monk, Rollins ou Parker.
Ce qui frappe d’emblée, c’est l’équilibre entre l’écriture exigeante des arrangements et la liberté expressive de Pepper. Même au milieu d’une section dense, il trouve des espaces pour souffler, pour sculpter ses solos avec finesse, toujours empreints d’une émotion palpable. Ainsi, chaque morceau — Move, ’Round Midnight, Anthropology, Donna Lee — est revisité avec une clarté et une énergie qui évitent les pièges du passée réchauffé.
Gettin’ Together (1960)
Enregistré le 29 février 1960 à Los Angeles et sorti la même année sur le label Contemporary, Gettin’ Together marque un moment charnière dans la trajectoire d’Art Pepper. Sur ce disque, Pepper retrouve la section rythmique de Miles Davis — Paul Chambers à la contrebasse, Wynton Kelly au piano, Jimmy Cobb à la batterie — une formule déjà fructueuse dans Art Pepper Meets the Rhythm Section. À cette base s’ajoute le trompettiste Conte Candoli sur plusieurs plages, apportant chaleur et punch.
Le répertoire mêle standards (“Softly, as in a Morning Sunrise”, “Rhythm-a-Ning”) et compositions originales signées Pepper ou Chambers, dont le titre éponyme « Gettin’ Together« . Ainsi, dès les premiers morceaux, l’album affiche une énergie contrastée : la finesse lyrique de Pepper sur l’alto (et parfois le ténor), alliée à une colonne rythmique agile, intense et relevée.
Smack Up (1960)
Smack Up, enregistré les 24 et 25 octobre 1960 à Los Angeles pour le label Contemporary, est un des albums les plus intrigants d’Art Pepper, tant par son contenu que par le contexte personnel de l’artiste. Aux côtés de Jack Sheldon (trompette), Pete Jolly (piano), Jimmy Bond (contrebasse) et Frank Butler (batterie), Pepper impose un jazz moderne, parfois tendu, souvent lyrique.
L’album est structuré autour de compositions écrites uniquement par des saxophonistes (Harold Land, Buddy Collette, Benny Carter, Ornette Coleman, Jack Montrose) et d’une pièce propre à Pepper, Las Cuevas De Mario.
Ce choix thématique le distingue : chaque thème donne lieu à des improvisations où la personnalité sonore de Pepper affleure, tour à tour incisive, chaleureuse, ou expansive.
Intensity (1963)
Intensity, enregistré les 23 et 25 novembre 1960 à Los Angeles, représente l’un des jalons les plus importants de la première grande période musicale d’Art Pepper. Produit pour Contemporary Records, et paru en 1963, ce disque engage l’alto dans une quête expressive : standard après standard, Pepper libère un souffle sincère et chargé d’émotion, entre blues subtil et lyrisme audacieux.
Accompagné par Dolo Coker au piano, Jimmy Bond à la contrebasse et Frank Butler à la batterie, Art Pepper s’attaque à sept grands thèmes du répertoire jazz — I Love You, Come Rain or Come Shine, Too Close for Comfort, entre autres — et les imprime de sa marque, oscillant entre retenue délicate et énergie intérieure exacerbée.
Ce disque se distingue non pas par l’innovation radicale, mais par l’évolution subtile du jeu de Pepper : un artiste qui, inspiré par John Coltrane ou Ornette Coleman, commence à fissurer les cadres du Cool West Coast, s’autorise plus d’aventures harmoniques et de tension émotionnelle.
Living Legend (1975)
Living Legend, enregistré le 9 août 1975 chez Contemporary à Los Angeles, marque le retour triomphal d’Art Pepper après quinze années tumultueuses d’addictions, d’incarcérations et de réhabilitations. Autour de lui, trois piliers du jazz californien : Hampton Hawes (piano et piano électrique), Charlie Haden (contrebasse) et Shelly Manne (batterie) — une rythmique parfaitement calibrée pour nourrir la renaissance expressive de son alto.
L’album s’ouvre sur Ophelia, écrit à San Quentin en 1963, prélude à un bouquet de compositions mâtures tels que Lost Life, reflet de ses années noires, et What Laurie Likes, tendre hommage personnel à son épouse. Au fil des titres, Art Pepper mêle standards (Here’s That Rainy Day) et créations personnelles, dévoilant une palette plus sombre, plus dense, mais toujours portée par un lyrisme inimitable.
The Complete Village Vanguard Sessions (1977)
Avec The Complete Village Vanguard Sessions, Art Pepper offre un témoignage live monumental : un coffret de neuf disques qui regroupe l’intégralité des performances données au mythique club Village Vanguard à New York, les 28, 29 et 30 juillet 1977. À ce moment de sa carrière, à 51 ans, après tant de ruptures personnelles et artistiques, il se produit entouré de George Cables au piano, George Mraz à la contrebasse et Elvin Jones à la batterie — une section rythmique à la fois sensible et galvanisante.
Le coffret rassemble tous les morceaux publiés auparavant de manière dispersée — Thursday Night, Friday Night, Saturday Night, More for Les, etc. — mais aussi des prises alternatives, des introductions parlées, des instants rares d’improvisation pure. On y entend Pepper à la fois vulnérable et exalté, plongeant dans les standards, ses propres écrits, et réinterprétant A Night in Tunisia, Caravan, But Beautiful avec une urgence et une profondeur nouvelles.
Winter Moon (1981)
Enregistré en septembre 1980 au Fantasy Studios de Berkeley et publié en 1981 sur le label Galaxy, Winter Moon est un sommet de la discographie d’Art Pepper. Entouré de Stanley Cowell (piano), Howard Roberts (guitare), Cecil McBee (contrebasse), Carl Burnett (batterie) et d’un orchestre à cordes dirigé par Bill Holman et Jimmy Bond, Pepper livre un album où la mélancolie et la beauté se côtoient avec une rare intensité.
L’album s’ouvre sur sa propre composition, Our Song, suivie de standards tels que Here’s That Rainy Day, Winter Moon, Blues in the Night (où Pepper joue également du clarinette), et The Prisoner (thème du film The Eyes of Laura Mars). Chaque morceau est imprégné de la sensibilité unique de Pepper, oscillant entre lyrisme et profondeur émotionnelle.
Art Lives (1983)
Enregistré en août 1981 au club Maiden Voyage de Los Angeles, Art Lives est un témoignage vibrant de la résilience et de la créativité d’Art Pepper. Ce live, capturé avec la complicité de George Cables (piano), David Williams (contrebasse) et Carl Burnett (batterie), reflète un moment où l’artiste, alors âgé de 56 ans, fusionne son vécu tumultueux avec une maîtrise musicale sans cesse renouvelée.
L’album s’ouvre sur Allen’s Alley de Denzil Best, suivi de Samba Mom Mom, une composition originale de Pepper, et d’une interprétation poignante de But Beautiful de Jimmy Van Heusen. Le morceau Thank You Blues clôture cette performance avec une énergie communicative.
Le vinyle, une culture
Si vous n’avez pas encore succombé au retour du vinyle, qui n’a par ailleurs jamais disparu, il est temps de vous y mettre.
Bien plus qu’un simple objet, il séduit de plus en plus, néophytes et passionnées, par la qualité de ses pochettes, sa fidélité sonore et la richesse du son.
De plus, il permet de se réapproprier l’instant et de prendre le temps.
Tout commence par ce petit rituel, où l’on choisit son disque, puis on extrait la galette de sa pochette et de son étui en plastique. Il faut ens