Nous fêtons en 2025 le centenaire de la naissance de Roy Haynes (1925-2024), batteur de jazz légendaire. Figure incontournable de la batterie moderne, il a marqué toutes les époques, du be-bop aux courants les plus contemporains, en collaborant avec des géants tels que Louis Armstrong, Billie Holiday, Charlie Parker, John Coltrane, Miles Davis, Thelonious Monk, Sarah Vaughan, Chick Corea ou Pat Metheny. Sa frappe élégante, précise et inventive, faite d’énergie, de subtilité et d’un swing irrésistible, a redéfini le rôle du batteur, transformant l’accompagnement en un art du dialogue. Voici donc notre sélection, certes subjective et non exhaustive, des meilleurs albums de Roy Haynes à écouter absolument, en vinyle de préférence !
We Three (1959)
We Three est un petit bijou de trio jazz gravé en novembre 1958 et publié en 1959 (label New Jazz), rassemblant Roy Haynes à la batterie, Phineas Newborn Jr. au piano et Paul Chambers à la contrebasse. Ce disque incarne une alchimie rare : pas de redite, mais une rencontre d’esprits en osmose, capturant une session presque nocturne, au feeling proche d’un set de club de jazz.
L’ouverture, « Reflection » (signée Ray Bryant), impose un tempo mesuré mais vibrant, où Haynes dialogue subtilement entre notes claires et silences ciselés. « Sugar Ray », composition de Newborn dédiée à la légende de la boxe, convoque un groove moelleux et percussif, ponctué d’échanges précis entre piano, basse et batterie. Le trio explore ensuite « Solitaire », « After Hours », « Sneakin’ Around » et clôt sur un « Our Delight » énergique signé Dameron — autant de brûlots fluides, pleins de swing et de nuances.
We Three demeure un repère majeur du hard-bop, montrant que Haynes ne se contente pas d’accompagner : il sculpte, propose et surprend.
Out of the Afternoon (1962)
Out of the Afternoon (Impulse!, 1962) est l’un de ces albums où Roy Haynes transcende le rôle de simple accompagnateur pour devenir architecte du temps et du son. Enregistré les 16 et 23 mai 1962 au studio Van Gelder à Englewood Cliffs sous la conduite de Bob Thiele, ce quartet réunit Haynes, Tommy Flanagan au piano, Henry Grimes à la basse, et un invité audacieux, Roland Kirk, multi-instrumentiste hors pair.
Dès les premiers accords de Moon Ray, le trio s’élance dans un univers où swing et audace se répondent. Kirk intervient avec des timbres inattendus — manzello, stritch ou flûte — pour offrir des dialogues surprenants et poétiques. Mais c’est dans les thèmes originaux de Haynes — Raoul, Snap Crackle, Long Wharf — que l’album révèle toute sa force : ici le batteur n’est plus seulement derrière, il module, pulse, propose.
Hip Ensemble (1971)
Hip Ensemble (Mainstream, 1971) marque une étape audacieuse dans le parcours de Roy Haynes : un album fusionnant jazz, funk et spiritualité, où le batteur s’impose comme maître d’orchestre d’un grand ensemble. Sur cette session enregistrée à New York pour le label de Bob Shad, Haynes réunit un line-up inspiré : Hannibal Marvin Peterson à la trompette, George Adams au ténor et à la flûte, Carl Schroeder au piano, Teruo Nakamura à la basse, et une section de percussions avec Lawrence Killian et Elwood Johnson.
L’album s’ouvre sur « Equipoise », thème de Stanley Cowell qui installe immédiatement une atmosphère lyrique et tendue. Avec « Satan’s Mysterious Feeling », la pulsation rythmique s’intensifie, les cuivres dialoguent, tandis que Haynes électrise le groove avec précision et audace. Le moment culminant arrive sur « You Name It / Lift Ev’ry Voice and Sing », reprise hybride d’un chant historique, où l’ensemble respire, vibres, balance et s’élève.
True or False (1986)
True or False (live, enregistré à Paris, Magnetic Terrace, 30 octobre 1986) est une démonstration puissante et lumineuse d’un Roy Haynes à son apogée. Dès les premières mesures, on est saisi par ce mélange de swing profond, de rythmes tourbillonnants et de mélodies riches — un Haynes poète du battement, sculptant l’espace sonore. Sur scène, il s’entoure de musiciens à la fois inventifs et à l’écoute : Ralph Moore au ténor, David Kikoski au piano, Ed Howard à la basse.
Le répertoire alterne des pièces modales (“Psalm”), des hommages à Monk (“Played Twice”) ou des incursions dans la tradition montuno avec “The Everywhere Calypso” — démontrant la capacité de Haynes à voyager dans les styles sans jamais perdre sa signature. Ce qui frappe ici, c’est l’équilibre subtil entre maîtrise et liberté. Haynes gouverne le tempo avec autorité, mais laisse aussi respirer ses partenaires, créant des moments d’improvisation où la tension devient musique.
When It’s Haynes It Roars (1992)
Avec When It’s Haynes It Roars (Dreyfus, 1992), Roy Haynes rappelle qu’à près de soixante-dix ans, il reste un volcan rythmique, capable d’embraser un studio parisien en quelques mesures. Enregistré aux célèbres studios Davout, cet album n’est pas une simple démonstration de virtuosité : c’est une célébration du swing moderne, tendue, élégante, où chaque frappe dessine un relief.
À ses côtés, une équipe de jeunes loups : Craig Handy, incisif et lyrique aux saxophones, David Kikoski, pianiste agile qui jongle entre lyrisme et fougue, et Ed Howard, basse solide au cœur battant. Ensemble, ils proposent un programme où standards revisités (Easy Living, I Thought About You) se frottent à des pièces plus audacieuses comme Steps ou Brown Skin Girl.
Ce qui séduit ici, c’est l’équilibre entre feu et retenue. Haynes rugit quand il le faut, mais sait aussi effacer sa batterie pour laisser respirer ses partenaires.
Te Vou ! (1994)
Avec Te Vou! (Dreyfus, 1994), Roy Haynes prouve qu’il n’a pas besoin de multiplier les solos pour imposer sa marque. Une seule intervention brève lui suffit : sa présence magnétique soude le groupe et stimule des sidemen de premier plan. Donald Harrison à l’alto et Pat Metheny à la guitare assurent la majorité des interventions solistes, portés par la fluidité de David Kikoski au piano et l’ancrage lumineux de Christian McBride à la basse.
Le programme brille par sa diversité : trois compositions signées Metheny, un détour exigeant par Monk (Trinkle Tinkle), des pièces de Chick Corea et d’Ornette Coleman, sans oublier un hommage vibrant à Charlie Haden avec Blues M45. McBride, d’ailleurs, manque souvent de voler la vedette tant son jeu conjugue puissance et lyrisme, comme en témoigne son solo éclatant sur cette pièce.
The Roy Haynes Trio (2000)
Avec The Roy Haynes Trio, paru en 2000 sur le label Verve, le légendaire batteur Roy Haynes prouve une fois de plus que le jazz, quand il est porté par ses maîtres, ne connaît ni âge ni frontière. Accompagné du pianiste Danilo Pérez et du contrebassiste John Patitucci, Haynes offre ici une leçon de modernité et de tradition, où chaque note respire l’inventivité et la virtuosité.
L’album, enregistré en 1999, est un dialogue envoûtant entre trois géants. Haynes, surnommé « Snap Crackle » pour son jeu explosif et précis, y déploie une énergie contagieuse, tandis que Pérez et Patitucci tissent des harmonies riches et subtiles. Des standards revisités comme « Dear Old Stockholm » ou « Bright Mississippi » deviennent sous leurs doigts des voyages sonores, où le swing rencontre la poésie. Ce trio, c’est l’alliance parfaite entre la fougue de la jeunesse et la sagesse de l’expérience. Un disque indispensable, qui confirme que Roy Haynes, même à près de 75 ans, reste un phare du jazz moderne.
Birds of a Feather : A Tribute to Charlie Parker (2001)
Avec Birds of a Feather : A Tribute to Charlie Parker (Dreyfus, 2001), Roy Haynes célèbre Bird sans nostalgie, en rassemblant une équipe de haut vol : Kenny Garrett (saxophone alto), Roy Hargrove (trompette), Dave Kikoski (piano) et Dave Holland (contrebasse). Ensemble, ils revisitent six compositions de Parker et cinq standards qui lui sont associés, de Moose the Mooche à April in Paris.
Haynes n’occupe pas le devant de la scène par de longs solos, mais son jeu précis et inventif inspire constamment ses partenaires. Ses balais, légers et colorés sur April in Paris, ses accents dynamiques sur Ah-Leu-Cha, donnent à chaque morceau une respiration et une énergie particulière.
Garrett impose une voix personnelle, jamais dans l’imitation, tandis que Hargrove brille par son lyrisme, notamment sur The Gypsy et What Is This Thing Called Love?. Holland, avec une contrebasse souple et dense, apporte un contrepoids solide au swing aérien de la batterie.
Love Letters (2003)
Avec Love Letters, Roy Haynes confirme une fois de plus qu’il est bien plus qu’un simple batteur : c’est un architecte du rythme, un maître du dialogue musical. Ici, il rassemble une formation étincelante, mêlant les générations et les talents : Joshua Redman au saxophone ténor, John Scofield à la guitare, Kenny Barron et Dave Kikoski au piano, Dave Holland et Christian McBride à la contrebasse. L’album, enregistré en 2002, est une leçon de swing, d’invention et d’élégance, où chaque standard – de « Afro Blue » à « My Shining Hour » – devient sous ses baguettes une aventure collective, à la fois intime et électrisante. Son jeu, tantôt subtil et aérien, tantôt puissant et incitatif, sert de fil conducteur à des interprétations où chaque soliste brille sans jamais éclipser l’ensemble.
Le vinyle, une culture
Si vous n’avez pas encore succombé au retour du vinyle, qui n’a par ailleurs jamais disparu, il est temps de vous y mettre.
Bien plus qu’un simple objet, il séduit de plus en plus, néophytes et passionnées, par la qualité de ses pochettes, sa fidélité sonore et la richesse du son.
De plus, il permet de se réapproprier l’instant et de prendre le temps.
Tout commence par ce petit rituel, où l’on choisit son disque, puis on extrait la galette de sa pochette et de son étui en plastique. Il faut ensuite la poser sur la platine, positionner soigneusement l’aiguille, savoir apprécier son crépitement si caractéristique, s’assoir et écouter, en parcourant la jaquette.
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Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une bonne écoute.
Hakim Aoudia.