Les 15es Rencontres nationales des Conseils de développement, organisées à Toulouse, ont consacré deux grandes tables rondes à une question qui traverse aujourd’hui la vie locale : peut-on encore avoir une ambition démocratique pour l’intercommunalité ?
Sous la modération d’Alain Faure, les chercheurs Laurence Barthe, géographe, et Xavier Desjardins, urbaniste, ont partagé leurs analyses et leurs doutes, sans détour ni complaisance. Leur regard d’observateurs engagés a fait ressortir les forces et les fragilités d’une citoyenneté intercommunale encore en construction.
Retisser des liens dans un moment de vulnérabilité partagée
Dès l’ouverture, le ton était donné : l’intercommunalité ne peut plus être pensée à travers la vieille opposition entre ville et campagne.
Pour Laurence Barthe, la fracture territoriale relève davantage d’un récit médiatique que d’une réalité vécue. Ce qui compte aujourd’hui, a-t-elle souligné, c’est moins ce qui distingue les territoires que ce qui les relie.
Xavier Desjardins a abondé : jamais les liens entre espaces urbains et ruraux n’ont été aussi intenses — par les mobilités, les échanges économiques, les parcours de vie. Loin de s’exclure, les territoires se tiennent, dans un système d’interdépendances et de solidarités réciproques.
Mais tous partagent désormais une même vulnérabilité : crise écologique, vieillissement, tensions sociales, rapport incertain à l’État… Autant de pressions qui appellent une réflexion collective et transversale. Les Conseils de développement, par leur diversité, peuvent devenir ces lieux où l’on relie les sujets et où l’on remet au centre les droits essentiels : se loger, se nourrir, se déplacer, apprendre, se soigner.
Des colères qui parlent, une apathie qui inquiète
Les débats ont aussi exploré un autre champ sensible : celui des émotions citoyennes.
La colère, les frustrations, les désillusions, mais aussi l’enthousiasme ou le désir d’agir, disent quelque chose de notre rapport à la politique. Pour Xavier Desjardins, l’apathie est plus dangereuse que la contestation : « mieux vaut la colère que le silence ».
Les mouvements sociaux récents, souvent confus, traduisent avant tout une volonté d’être ensemble. Même désordonnée, cette parole mérite d’être écoutée comme un matériau démocratique précieux.
Il a appelé à ne pas chercher de coupables mais à comprendre les “ébranlements” qui traversent nos sociétés : ces secousses discrètes qui fragilisent les solidarités locales et révèlent les fissures du lien social.
Les conseils de développement ont ici un rôle singulier : repérer, documenter et mettre en mots ces signaux faibles. Ils sont les témoins d’une « économie morale » des territoires, faite de confiance, de bienveillance et parfois de lassitude.
Le dialogue complexe avec le bloc élu-technicien
Les échanges ont aussi pointé un obstacle bien connu : la difficulté du dialogue entre citoyens, élus et techniciens.
Laurence Barthe a parlé du « trop sérieux » qui caractérise parfois la vie intercommunale. Les projets de territoire, souvent techniques, peinent à toucher, à émouvoir, à mobiliser.
Elle plaide pour y réintroduire du sensible : l’art, le récit, la marche, l’émotion. Des approches qui donnent à voir le territoire autrement et qui embarquent des publics éloignés de la parole institutionnelle.
Les deux chercheurs ont également décrit l’intercommunalité comme un espace de « politique confisquée ». Les décisions se nouent souvent dans des négociations en amont, loin du regard citoyen. Les conseils de développement peuvent alors jouer un rôle essentiel de mise en lumière : expliquer les processus, rendre visibles les choix, faire comprendre les compromis.
Pour fluidifier le dialogue, plusieurs pistes ont été évoquées :
– une formation partagée entre élus, techniciens et citoyens ;
– des formats de rencontre plus vivants (balades urbaines, marches sensibles) ;
– la construction d’un langage commun autour des enjeux de chaque territoire.
Un conseil de développement peut aussi servir de relais entre ingénierie technique et décision politique, créant une triangulation vertueuse.
Nom, sens et avenir : l’interpellation des chercheurs
Dans une intervention très remarquée, Xavier Desjardins a interpellé directement les participants : « Conseil de développement, c’est un nom vraiment bizarre… »
Le terme, a-t-il expliqué, ne dit plus ce qu’est réellement cette instance : un lieu de délibération, d’initiative et d’interpellation démocratique.
Laurence Barthe a prolongé la réflexion en appelant à clarifier la raison d’être des CODEV, voire à repenser leur appellation. Cette redéfinition, selon elle, ne doit pas être défensive mais joyeuse, accessible, et fidèle à l’esprit d’impertinence qui en fait la richesse.
Elle a esquissé plusieurs élargissements possibles :
sortir de l’obsession du périmètre institutionnel et travailler sur les communs (mobilité, biodiversité, alimentation) ;
bâtir des solidarités d’ingénierie entre territoires pour mutualiser les ressources ;
cultiver trois compétences clés : la facilitation, la médiation et la diplomatie ;
aller vers une démocratie plus inclusive, qui cherche sans relâche celles et ceux qui ne sont jamais là.
Une citoyenneté intercommunale en devenir
Au terme de ces Rencontres, un constat s’impose : la citoyenneté intercommunale n’est pas une évidence, mais une construction patiente.
Les conseils de développement se trouvent à la croisée des chemins : ils ne sont ni des contre-pouvoirs ni de simples chambres d’avis. Ils sont des espaces de respiration démocratique, capables d’articuler la complexité du monde local, de faire dialoguer le sensible et le rationnel, les colères et les enthousiasmes.
Reste à leur donner la place qu’ils méritent. Celle d’acteurs à part entière de la vie publique intercommunale, porteurs d’une promesse : celle d’une démocratie qui ne se contente plus de représenter, mais qui associe, relie et éclaire.
Retrouvez tous les comptes-rendus des 15es Rencontres :
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