[FIN DE VIE] « Même avec Charcot, la vie en vaut la peine »

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Wahiba et Guilhem Gallart (Pone), en 2021 © Fred SCheiber / AFP.

Guilhem Gallart, de son nom de rappeur Pone, ancien membre de la Fonky Family, est atteint de la maladie de Charcot depuis dix ans cette année. À ses côtés, son épouse Wahiba Gallart assume un rôle d’aidante à chaque instant. Elle revient sur son quotidien et ce choix de vivre pleinement.

Comment vivez-vous aujourd’hui votre quotidien de soins constants à votre mari, dix ans après l’irruption de la maladie de Charcot ?

Wahiba Gallart : Je dirais que nous sommes dans la vie normale, même si chacun a son vécu de la normalité ! C’est le quotidien que tout le monde vit avec ses enfants, celui de nos filles qui se lèvent, se préparent, comme toutes les jeunes filles qui vont au collège et au lycée… Il y a bien sûr l’accompagnement constant pour moi des soins de Pone, les visites des spécialistes. Il faut être honnête, on met tout en place pour que cette stabilité soit constante, avec des soins précis, méticuleux, très ritualisés. Pour autant, nous avons toujours des projets. Mon mari Pone, ancien rappeur de la Fonky Family, a découvert combien il aimait écrire. En ce moment, il travaille au scénario d’une série qui est en phase de développement, un monde qu’on découvre au fur et à mesure et surtout, une nouvelle aventure !

Beaucoup d’aidants ne se sentent pas reconnus. Dans quel esprit endossez-vous ce rôle ?
Ce n’est pas un rôle qui s’arrête à certaines heures : c’est 24h/24, 7 jours sur 7. Il y a des phrases où je peux être épuisée physiquement et mentalement, parce que je suis dans cette vigilance constante. Je joue plein de rôles en même temps : soignante, épouse, maman, psychologue, infirmière, manager d’équipe à petite échelle, avec les personnes qui nous aident. Je dis souvent, que l’on a notre propre bateau, et que l’on doit à chaque fois trouver des personnes pour ramer avec nous… Or, ces personnes qui rament avec nous ne restent pas indéfiniment, alors il faut recruter des nouveaux rameurs, les former, et cela prend beaucoup d’énergie.

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La maladie de Charcot est souvent invoquée comme exemple d’une « vie indigne ». Alors que le texte de loi sur l’aide à mourir doit revenir prochainement au Sénat, que pensez-vous de ce lien fait entre Charcot et le droit au suicide assisté ?

Il est agaçant de voir combien on a pris la maladie de Charcot comme argument pour appuyer le suicide assisté. Nous n’avons jamais milité avec Pone, comme défenseurs de la vie coûte que coûte, car c’est une question intime à chacun, mais nous avons pris ce chemin de vie en nous disant que malgré Charcot, malgré la situation, malgré la lourdeur du quotidien, il est possible de vivre. Ce n’est pas facile, certes, l’ordinaire peut être compliqué et lourd, mais ça en vaut le coup ! Au sujet du suicide assisté, le risque, c’est la manière dont on va appréhender la maladie : avec mon mari, nous pensons souvent aux personnes nouvellement diagnostiquées. C’est déjà un choc d’une telle violence, que ce lien entre maladie de Charcot et euthanasie, cette idée que la vie n’en vaut plus la peine, renvoient un message encore plus violent. Si le mot euthanasie vient se poser sur le mot Charcot, déjà terrible, cette annonce peut être d’autant plus compliquée à gérer. Ce qu’il faut, c’est entrevoir de l’espoir. Certes, on ne va pas guérir. On ne se fait pas d’illusions. Mais espérer, c’est pouvoir se dire, il y a une capacité de vivre, et il y a une acceptation possible. Pour avoir côtoyé beaucoup de personnes qui ont la maladie de Charcot, l’entourage est crucial. S’il n’y a pas d’entourage fort au minimum, une présence, c’est vrai qu’on est vraiment seul, et d’autant plus vulnérable, en dépendant des aides extérieures qui ne sont pas toujours stables.

Espérer, c’est pouvoir se dire, il y a une capacité de vivre, et il y a une acceptation possible.

La question des directives anticipées, pour vous, a été une leçon éprouvante : quel message portez-vous à ce sujet ?

On devrait parler beaucoup plus des directives anticipées. On oublie qu’il peut nous arriver quelque chose. Le risque, c’est d’attendre qu’arrive un événement critique, comme nous l’avons vécu. Or, les directives anticipées sont extrêmement importantes, pour que parole de la personne soit respectée, et que la famille sache dans quelle direction son proche veut aller. Il faut avoir ce courage d’en parler en famille, de partager. Pour mon mari Pone et moi, au moment de les rédiger, il a été compliqué de sauter le pas.  Une fois qu’on l’avait fait et qu’on est arrivé à l’hôpital, il a été difficile de se faire entendre : pour les soignants, notre position a provoqué questionnements et stupeur, face à Pone qui arrivait dans un état très critique et qui disait, « je veux vivre » alors que sa pathologie n’avait pas d’issue. Les questions qu’ils nous ont renvoyées ont été : « Vous vous rendez compte ? Est-ce que vous avez pris la mesure de là où vous vous embarquez ? » Il y avait une vraie incompréhension des soignants ; c’était de la folie pour eux. Mais leur attitude a changé peu de temps après. Entre le soir où on est arrivé, et le jour où on est parti, on aurait dit deux services de réanimation différents. Il faut tenter de comprendre les soignants, et de se faire comprendre : ce respect doit tenir. Depuis la première admission de Pone dans un état critique, on est encore en étroite collaboration avec les soignants du service de réanimation, pour la partie ventilation notamment. Et certains d’entre eux sont devenus nos amis proches.

Quel besoin pour la société tirez-vous de cette longue expérience d’aidante auprès de votre mari ?
Malgré les difficultés propres aux lourdes pathologies comme celle de Charcot, on pourrait améliorer l’accompagnement des aidants car, aujourd’hui encore, nous sommes encore trop mal informés. On ne peut pas être à la fois aux côtés de notre proche, et mener de front des tas de recherches pour s’enquérir des droits, des financements, recruter des personnes. Toutes ces démarches prennent vraiment du temps quand on est aidant. Malgré tout, pour nous, se battre vaut le coup : on arrive à trouver la force pour mettre notre vie sur de nouveaux rails. Avec les hauts, les bas, on sait que personne n’a une vie constante, mais les sacrifices qui vont avec en valent la peine.

Dix ans après l’irruption de la maladie, vous parlez de « cette force pour remettre toujours votre vie sur les rails » : d’où vient-elle ?

Cette force, on la puise dans l’amour qu’on a dans notre couple : pour nous, et nos enfants, pour donner une perspective à notre vie. Ce qui vient donner du sens à ce que nous traversons -et c’est propre à nous- c’est notre vie spirituelle forte. Nous sommes musulmans tous les deux, et lorsque tout devient pesant, nous trouvons un apaisement dans notre lien à Dieu.

Recueilli par Marilyne Chaumont, 17 octobre 2025

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