Blaise Pascal (1623-1662) La Pascaline, ou « machine arithmétique », Rouen, vers 1645-1650Vente Christie’s Paris, 19 novembre 2025 Photo : Christie’s Paris
Nous n’avons évoqué cette question qu’il y a deux jours, lorsque nous avons parlé de la vente Christie’s : la contestation montait, notamment parmi les scientifiques, sur le certificat d’exportation accordé à la Pascaline, cette machine à compter créée par Blaise Pascal, qui devait être vendue demain aux enchères. Si elle relève avant tout des instruments scientifiques, une discipline à la limite du champ de La Tribune de l’Art, la qualité de sa conception en fait un véritable objet d’art. C’est d’ailleurs le département des Objets d’Art du Musée du Louvre qui joue le rôle de grand département du ministère de la Culture, pour proposer ou non le classement comme trésor national. Manifestement, le Louvre a réagi comme il le fait souvent : ça ne nous intéresse pas, donc ce n’est pas intéressant.
Que cinq des huit Pascalines aujourd’hui encore connues se trouvent dans des musées français n’est pas suffisant pour justifier ce désintérêt : tous les modèles sont en réalité différents, et celui-ci l’est même encore davantage puisqu’il est le seul exemplaire connu dédié aux mesures d’arpentage. Il s’agit d’un objet unique, fondamental pour le patrimoine français.
Une décision de référé vient d’être prise, par le tribunal administratif de Paris, de suspendre la délivrance du certificat d’exportation. C’est une première importante pour la défense des trésors nationaux que l’on voit trop souvent partir sans que l’État ne fasse rien pour les retenir, en particulier lorsque, justement, ils ne sont pas classés « trésor national ». Malgré tous nos efforts, ni l’association Sites & Monuments, ni nous-mêmes n’avons jamais réussi à obtenir du ministère un suivi précis des certificats accordés. Sans doute car, comme dans ce cas, il préfère que cela se passe dans l’opacité, pour ne pas risquer d’être mis en cause. Cette fois, c’est raté.
C’est d’ailleurs Sites & Monuments, mais aussi d’autres associations - Amis et correspondants du Centre international Blaise Pascal, Société des Amis de Port Royal, Société de Port Royal - et trois personnalités scientifiques (les professeurs Jean-Michel Bismut, Thierry Lambre et Laurence Plazenet), qui ont formé ce recours, demandant en urgence la suspension du certificat délivré par le ministère de la Culture. Un certificat découvert très tardivement, en raison de l’opacité dont nous parlions plus haut.
Il faudra, bien sûr, attendre le jugement sur le fond, mais il s’agit déjà d’une belle victoire qui met le doigt sur des pratiques indignes du ministère : donner un certificat devrait être fait de manière transparente, et en consultant les spécialistes de la question. Il est anormal que cette décision puisse résulter de l’avis unique d’un conservateur et/ou de son directeur de département. Le certificat a été accordé en mars 2025, et aucune des personnes ayant demandé à le consulter n’a pu y avoir accès, le ministère de la Culture s’y opposant obstinément, comme à son habitude.
Une tribune était parue dans Le Monde, pour protester contre la délivrance de ce certificat, qui a reçu à ce jour 859 signatures de soutien, où l’on peut lire les noms de quelques-uns des plus grands scientifiques, mathématiciens, et universitaires de toutes disciplines, ainsi que celles de défenseurs du patrimoine (nous avons évidemment signé).
La suspension de la délivrance du certificat n’entraine pas forcément l’annulation de la vente. Celle-ci reste possible, avec ou sans certificat, même si Christie’s a annoncé l’avoir suspendue. Rien ne dit, d’ailleurs, que le jugement sur le fond ne donnera pas tort aux associations. Mais la loi impose qu’un bien culturel présentant un intérêt majeur pour le patrimoine français du point de vue de l’art, de l’histoire ou de l’archéologie se voie refuser le certificat, ce qui donne ensuite le temps de réunir les fonds nécessaires à son achat pour un musée, si possible avec l’aide du mécénat. Il paraît désormais improbable que le tribunal administratif, compte tenu de la qualité des demandeurs, puisse juger de son propre chef que cet objet n’ait pas un intérêt majeur pour le patrimoine français. On peut donc encore espérer qu’il pourra être conservé dans un musée de notre pays, ce qui ne lésera pas le vendeur puisqu’il faudra alors l’acheter au prix du marché international. Nul doute d’ailleurs que des mécènes pourront être intéressés par cet objet à l’histoire peu banale.
Didier Rykner
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